Une nouvelle fiction, un peu spéciale, car elle est écrite à deux plumes.

Mon âme soeur, ma très chère Istalas, partage cette aventure fantastique avec moi, nos écritures et nos styles se mêlent tout au long des chapitres, afin de mieux vous charmer.......

 

Au-delà des miroirs

 

Chapitre 1

 

Le grand jour a eu lieu, enfin ! Après une absence qui a semblé interminable, aussi bien pour les membres de Tokio Hotel que pour les fans qui commençaient à désespérer de les voir se produire à nouveau. Le concert de la guérison, celui qui restera mythique aux yeux de tous : Le Parc des Princes ! Le stade a tremblé autant au son de la musique qu’à celui des fans déchaînés, incapables de contenir leur joie de revoir le groupe en pleine forme. Ce soir, personne n’ira se coucher sans repenser à ce son qui a enflammé le public, à ces quatre petits bonshommes sortis du fin fond de l’Allemagne qui ont ravagé la scène comme peu savent le faire…

Ils sont heureux comme jamais, mais épuisés par l’effort fourni. Que dis-je, épuisés, ils sont même exténués par ces quelques heures de gloire qui ont annoncé leur retour en force. Ils trouvent encore le courage de signer quelques autographes, avant de rejoindre leur hôtel d’un pas hâtif.

Le palace parisien qui les accueille est tel que l’idée que l’on s’en fait, quand on n’a jamais eu la chance d’y pénétrer. On y entre comme dans un rêve, celui où la richesse coule à flot, en rayant de notre vocabulaire la notion de modestie.

Marbres à foison, tentures de velours, lustres de cristal, un luxe alliant à la fois la richesse et la discrétion, l’ancien et le moderne, dans une harmonie qui vous émerveille avant que vous n‘ayez eu le temps de poser les yeux sur le moindre détail.

Un repas leur a été spécialement préparé au bar, qui pour cette occasion est fermé au public, afin de préserver leur intimité, aussi bien pour les groupies que pour les paparazzis, toujours aussi avides d‘informations. Là aussi, on peut remarquer la méticulosité avec laquelle les quelques plats concoctés ont été dressés sur des assiettes en porcelaine. Les couverts en argent éblouissent les regards des musiciens qui se demandent si vraiment, cet endroit ne sort pas tout droit de leur imagination.

La soirée se termine au jus de pomme … Pardon au champagne ! C’est vrai maintenant que les jumeaux ont dix huit ans et demi, plus besoin de faire semblant. Bill regarde béatement les bulles dorées qui remontent à la surface de sa boisson, alors que Tom sirote la sienne d’un air pensif.

« Alors content ?
-Tu n’imagines pas le plaisir que c’est de pouvoir remonter sur scène et de chanter à nouveau !
-Parle pour toi, vu ma façon de chanter, c’est heureux !
-Heureusement que tu manies les baguettes, mieux que le chant, bonjour nos oreilles !
-C’est ça, fais le malin !
-Je vais me gêner !
-Qu’il était bon le temps où tu te taisais »


Tous se mettent à rire en cœur, même si les yeux du chanteur dévoilent une note d‘amertume face à cette réplique. Maintenant que la pire épreuve de leur vie est loin derrière eux, ils vont pouvoir s’en donner à cœur joie. Chanter, faire de la musique, vivre, profiter, être heureux,… Être eux !

Mais le bonheur parfait n’est pas de ce monde, cela ils vont s’en rendre compte au fil du temps. Mêmes les célébrités peuvent voir leurs rêves s’envoler au moindre incident, au moindre faux pas. Mais pour l’instant, laissons–les profiter de ce bonheur amplement mérité. La vie ne sera pas toujours aussi clémente avec eux.

« Au fait Tom, je croyais que l’on s’était mis d’accord !
-Quoi donc, fit ce dernier d’un air innocent en avalant le fond de son verre de champagne.
-Tu es censé m’accompagner durant les refrains et m’assurer un soutien vocal…
-Heu…
-C’est pas une réponse !
-Je me concentre déjà sur mes accords.
-Et faire deux choses en même temps, tu ne peux pas ? »


Tom réfléchit un instant, alors que son frère le fixait en attendant une réponse pertinente, persuadé que pour une fois, il aurait le dernier mot.

« Si, je regarde les jolies filles dans le public.
-Ne te fous pas de moi, en plus !
-Je n’oserais pas.
-Et voila c’est reparti pour un tour, nos chers jumeaux retombent en enfance.
-Georg ! La ferme ! Firent ces derniers en chœur.
-Pour souvent quoi, vous voila d’accord !
-Pour que tu la fermes ….toujours….
-Me demande si vous deviendrez adultes un jour !
-Peut-être ! »


Georg et Gustav se lancent un coup d’œil entendu, quand ces deux là seront adultes, il pleuvra des petits chats. Ils ne prêtent pas attention aux deux jumeaux qui préparent déjà une vengeance…

L’excitation retombée, la fatigue se fait sentir. Leurs gémissements témoignent bien de leurs douleurs. L‘un a mal au dos, l‘autre aux mollets, le troisième a la gorge sèche, tandis que le dernier est déjà dans les bras de Morphée. Le guitariste tire son frère du sommeil en lui murmurant quelques mots à l’oreille, de sa voix un peu enrouée à cause du « soutien vocal » dont il a fait preuve durant le concert.

« Bill, tu viens ? On va se coucher… »

Ce dernier répond par un long grognement, puis il se redresse en ouvrant lentement de petits yeux. Tous se lèvent en marmonnant entre leurs dents que leurs jambes tirent ici ou là, puis ils se dirigent d’un pas lourd vers le couloir.
Ils prennent l’ascenseur, sous la surveillance attentive de Saki et de Toby. Les gardes du corps ne sont jamais bien loin, visibles ou non, ils veillent sur leurs protégés, à l’affût de tout ce qui pourraient leur arriver. Même à cette heure-ci, une groupie hystérique pourrait venir troubler cette paisible soirée pour réclamer des autographes et une photo avec le groupe. Il règne un silence de mort, joyeusement rompu par les éclats de rire du groupe qui monte se coucher.

Ils arrivent sur le palier du troisième étage. Quatre chambres, de la 300 à la 304, leur sont destinées. Bill rentre dans la première, tandis que les autres regagnent leurs chambres respectives en chantant à tue-tête. L‘alcool a coulé à flots ce soir, ils doivent avoir du mal à tenir encore debout. Le chanteur referme la porte derrière lui et observe l’amoncellement de bagages posés au sol, juste en face de lui. Toutes ses valises sont déjà là, la rouge, la bleue, la noire, rien ne semble manquer, tant mieux. Courir après une valise au milieu de la nuit n’est pas des plus plaisant, enfin surtout pour le staff.

Le noiraud ouvre la plus petite valise, en sort sa trousse de toilette, puis se dirige vers la salle de bain en massant son crâne lourd.
Une bonne douche, puis au lit. Aussitôt pensé, aussitôt fait.

Au sortir de la douche, un simple linge éponge blanc enroulé autour de la taille, il se regarde dans le miroir. Il aime ce qu’il y voit, un beau visage d’ange, de grands yeux noisette, des cheveux noirs parsemés de mèches blondes, un sourire qui lui fait défaut tout en accentuant son charme. Son torse est encore humide, parsemé de gouttelettes d’eau qui se languissent sur sa peau en dévalant son thorax.
Il se sourit à lui-même, quand soudain, le miroir semble se troubler et un rire malicieux s’en échapper.

Bill secoue la tête, il doit rêver à moitié, la fatigue sans doute. La surface du miroir semble émettre des vagues concentriques comme lorsqu’un caillou heurte la surface de l’eau et en trouble le calme apparent. Il approche sa main, le doigt tendu, hésite longuement et finit par toucher le miroir. La surface en est dure, comme il se doit. Seraient-ce ses yeux qui lui jouent des tours et ses oreilles par la même occasion ?

 

Chapitre 2

 

Bill secoua à nouveau la tête, puis regarda plus attentivement le miroir. De légères vagues brouillaient la surface lisse du verre, et le reflet de l’androgyne s’estompait petit à petit pour laisser place à un vide, comblé par un fond blanc nacré.

Il se frotta les yeux, recula un peu, puis regarda à nouveau l’étrange phénomène qui se passait sous ses yeux. Il sentit sa peau frissonner, des coulées froides descendre dans son dos et atteindre ses lombaires…
Mais rien ne changeait, cette vision dont il voulait se débarrasser semblait se préciser. Le silence qu’il recherchait se traduisait en petits rires amusés, et ce que ses yeux lui montraient était bien plus inhabituel que les hallucinations que pouvaient produire une soirée trop arrosée.

« Mais on m’a drogué ou quoi ? »

Le même rire retentit. Il semblait parcourir toute la pièce, glisser sur les murs, ricocher sur ses tympans, si bien que la petite voix avait maintenant l’ampleur d’un vacarme assourdissant. Bill tournait la tête dans tous les sens, cherchant vainement la source de ce bruit qui commençait à lui faire perdre la tête.
Mais le son devenait insupportable. Il porta ses mains à ses oreilles, boucha les orifices avec ses paumes, et se mit à crier :
« STOOP ! »

La seconde d’après, le silence revint. Le chanteur regarda le miroir et y aperçu l’ébauche d’un visage. De grands yeux, un nez aquilin, un sourire espiègle s’y profilaient lentement, comme si les traits se distinguaient petit à petit du fond blanc uniforme, apparaissant à travers un léger voile. Bill recula encore de quelques pas, se tourna vers la douche, baissa la température, et arrosa sa tête durant quelques secondes. Quand l’eau froide eut entièrement glacé son corps, il respira profondément et lentement en peinant à reprendre ses esprits. Sa poitrine se soulevait lentement, puis retombait, en partie masquée par les filets d’eau qui s’écoulaient de ses cheveux aile de corbeau.

Quand il se retourna à nouveau, rien n’avait changé. Le visage flottait dans le miroir, lui esquissant un sourire ravissant. Les mains du chanteur se mirent à trembler, alors qu’il refermait ses bras frêles autour de son tronc glacé.


« Mais qu’est-ce qui m’arrive ? »


Une voix douce lui répondit, en abandonnant un léger chuchotement dans le creux de son oreille.


« Bill, voyons, ne te mets pas dans cet état ! »


Le chanteur se recula jusqu’au mur, s’appuya dessus en baissant la tête vers le sol. Ses sentiments étaient facilement palpables : un mélange de doute, de colère, d’incompréhension qui lui faisait un peu perdre la tête.


« Bon, Bill, tu as trop bu, tu vas t’en remettre. Tu vas… aller dans ton lit, t’enfouir sous ta couette, te réchauffer. Et tu verras, tout ira bien… »


La voix attira à nouveau l’attention du bel androgyne qui grelottait dans son fin drap en éponge.


« Bill…
-Mais laissez-moi tranquille ! Pourquoi j’entends des voix ? Pourquoi il y a ce visage dans le miroir ? Laissez-moi ! Je veux juste dormir… dormir… »


Il se laissa tomber au sol en serrant toujours son tronc entre ses bras fins. Ses lèvres glacées commençaient à se teinter d’une couleur bleuâtre. De minces gouttelettes continuaient à perler au bout de ses cheveux, avant de se perdre sur ses épaules froides. Il se sentait perdre pied. Froid comme la mort, comme un fantôme…

Serait-ce un fantôme ? Serait-il hanté ou aurait-il soudain acquis la faculté de les voir ? Depuis sa plus tendre enfance, il croit à l’au-delà, il sait bien que ce monde ne peut être la seule réalité. Mais entre croire et voir, il y a un fossé qu’il n’a pas du tout envie de franchir. Surtout qu’il n’a jamais osé en parler, même à Tom. Son jumeau est si pragmatique, si terre à terre, bonjour le "foutage de gueule" s’il osait ne serait-ce que laisser entendre qu’il a parlé à un fantôme.

En plus les fantômes, ça n’existe pas, se dit-il dans une vaine tentative de voir l’objet de ses visions disparaître.

« Bill, tu ne rêves pas, je suis bien là. N’essaye pas de te convaincre du contraire, tu te ferais du mal ! »


A l’appel de son nom, l’interpellé observa à nouveau le visage qui flottait dans le miroir à la place de son reflet.
Il ne comprenait pas, mais par-dessus tout, c’était sa peur qui le rendait si réticent envers sa vision.


« Qui êtes-vous?
-Oh, bien peu de chose. Un visage, une ombre, une image. Je suis sans vraiment être…
J’erre, de ci, de là, je viens et je vais,…
-Mais qui êtes-vous ?
-Je suis….. juste moi ! »


Les doigts du chanteur se refermèrent sur sa paume, ses genoux cherchèrent à s’emboîter contre son torse. Il enfouit sa tête entre ses rotules avant de marmonner lentement.


« Laissez-moi tranquille, je veux qu’on me foute la paix. »

La petite voix fluette ricana en parcourant à nouveau tous les murs de la pièce.


« Tu as peur, n’est-ce pas ?
-Partez !
-Je n’ai pas l’intention de te faire du mal tu sais !
-Alors va-t-en !
-Bill, voyons, ne fais pas le petit enfant peureux.
-Je veux être seul.
-Tu as peur Bill, tu as peur de moi… »


Plus la petite voix s’amplifiait, plus l’androgyne resserrait contre lui ses maigres genoux. Ses cheveux noirs contrastaient avec le blanc de la pièce tout en cachant son visage effrayé.

« Je n’ai pas peur, je veux juste que vous partiez. Qu’on me laisse me reposer parce que j’ai eu une journée éprouvante, que j’ai besoin de souffler…
-Tu mens Bill, une fois que je serai partie, tu iras rejoindre ton frère dans la chambre voisine. Tu dois lui parler n’est-ce pas ? De…petites choses qui te tracassent ! »


Les lèvres du noiraud remuèrent, sans laisser sortir un son. Il fixait le miroir avec curiosité et appréhension.


« Comment vous pouvez savoir ça !
-Hm… Petit secret !
-Vous êtes encore pire qu’un paparazzi !
-Ne me compare pas à ce que tu connais déjà…
-Partez !
-Tu ne veux pas me connaître ?
-Non !
-Tu mens Bill, je t’intrigue… tu demanderas à me revoir. Mais tu ne le sais pas encore !
-Quoi ?
-Laissez-moi exécuter vos ordres, je vais m’en aller…
-Attendez !
-C’est trop tard… »


Bill se leva d’un bond furtif et se jeta sur le miroir. Le temps de se mettre à hauteur de celui-ci, le visage avait déjà presque entièrement disparu. Les doigts crispés du brun s’étalèrent sur la surface lisse en verre, mais c’était déjà trop tard… Le rire s’évanouit pour laisser à nouveau place au silence, et le fond du miroir se clarifia en une image qu’il connaissait beaucoup mieux : son reflet.

Il pouvait apercevoir sa chair claire et légèrement hérissée tout le long de ses bras. Ses lèvres bleutées et ses cheveux humides encadraient un visage pâle qui respirait l’inquiétude. Dans ses yeux noisette, il discerna une peur tellement profonde que sa simple image lui semblait effrayante. Bill soupira longuement, puis quitta la pièce avec des questions plein la tête. Il voulait se détendre, mais cette apparition n’avait pas vraiment contribué à l’apaiser…

Il se dirigea vers son lit, s’affala dessus et se mit à fixer le plafond vide. Peut-être que demain, il se réveillerait en sachant que tout n’était qu’un mauvais cauchemar, une illusion…

Il songeait à rejoindre Tom pour lui raconter ce qu’il venait de voir, mais ne le lui avait-t-elle point prédit ? Devait-il suivre son instinct ou au contraire, aller contre sa destinée, afin de voir si tout pouvait être changé ?
Comment cette apparition pouvait-elle savoir, avant lui, ce qu’il n’avait même pas encore prévu de faire ? C’est incroyable, impossible, effrayant, épouvantable, bref le qualificatif parfait étant hors de portée à cette heure tardive, mieux vaut essayer de dormir …
A ce qu'on dit, la nuit porte conseil…

 

Chapitre 3

 

Bill n’est pas le seul à chercher en vain le sommeil par cette chaude nuit de juin. Tom, son double, se tourne et se retourne dans ses draps humides, Morphée ne daignant point de ses ailes caresser ses rêves. A mi-chemin entre le sommeil et la réalité, il tente de susciter de douces visions, mais ce sont plutôt ses angoisses qui prennent le dessus et l’empêchent de dormir.

La bouche asséchée par l’abus d’alcool, il finit par se lever et se rend d’un pas hésitant près d’une desserte, somptueusement garnie d’un panier de fruits frais, de boissons diverses. Serviettes, services et verres de toutes tailles s’y côtoient, parfaitement alignés. Il saisit une carafe d’eau et remplit l’un des verres avec la boisson limpide. Un éclair de lumière attire soudain son attention, si fugitif qu’il pense l’avoir imaginé.

Il porte le verre à ses lèvres, quand soudain le grand miroir mural qui lui fait face devient opalescent. De surprise, le verre lui échappe des mains et chute sur l’épaisse moquette. Il se fêle légèrement dans un son étouffé par le revêtement du sol, et le liquide s’étale à ses pieds en trempant le bout de ses orteils dénudés. Un rire cristallin et moqueur retentit, semblant se répercuter dans toute la pièce.

Il se retourne et en cherche la source, mais la pièce est vide, désespérément vide. Un bruit sourd se fait entendre, une sorte de grondement, comme les prémices d’une vague tellurique, qui fort heureusement ne se produit pas. Il n’aurait manqué plus qu’un tremblement de terre pour couronner le tout.

Observant plus attentivement les alentours, il se rend compte que c’est le miroir qui vibre, mais que rien autour ne bouge. Il sent ses dreads se hérisser, son cœur frapper énergiquement contre ses côtes… Là, cela vire au cauchemar, le miroir est vivant, du moins c’est l’impression qu’il donne quand il se déforme pour laisser apparaître un visage féminin. Tom en blanchit au point de faire concurrence aux draps de satin du lit. Cela déclenche un fou rire de la part de l’être mystérieux.

Finalement, la curiosité et la colère l’emportent sur la peur ; l’alcool aidant, il lance d’un ton peu amène :

« Tu es qui toi ?
-Dis donc, ce n’est pas la politesse qui t’étouffe !
-Non, pas quand on s’introduit dans mon miroir !
-Tu n’as pas peur ?
-Je suis trop pété pour avoir peur.
-On ne me l’avait pas encore faite celle–ci.
-Il faut un début à tout !
-Tu es bien différent de ton frère !
-Tu le connais ?
-Si on veut.
-C’est pas une référence.
-Je dirais plutôt le contraire.
-Comment ça ?
-C’est toi qui n’es pas une référence !
-Normal, je rêve et je parle à un miroir.
-Non, tu ne rêves pas.
-Pfffffff ! Prouve-le !
-On reconnaît bien ton pragmatisme.
-Comment tu sais ça ?
-Je sais beaucoup de choses.
-Pas possible !
-Je peux te dire que dans quelques minutes tu vas saigner !
-N’importe quoi !
-Je ne mens jamais !
-Et moi, je dois être somnambule !
-Hi, hi, si c’était le cas tu le saurais, cela n’arrive pas du jour au lendemain !
-C’est ça, en plus tu sais tout !
-Quand même…presque tout …
-Tu existes vraiment ?
-Oui ! »


Tom se rapproche afin de toucher ledit miroir, pour vérifier la réalité des propos de cette étrange créature. Enfin, surtout pour se prouver qu’il n’y a rien, qu’il ne va toucher que du verre et que cette vision disparaîtra comme elle est venue, comme un songe d’une nuit d’été …

Il s’approche lentement de l’objet qui suscite son attention en refermant son poing, comme s’il s’apprêtait à frapper à la porte de chez quelqu’un pour signaler sa présence. Ses pieds pataugent dans la flaque en partie épongée par la moquette.
« Aie ! »
Il marche sur le verre de cristal, qui se brise et lui entaille méchamment la plante du pied. Le sang se met à couler, parsemant la moquette de fines gouttelettes carmin, qui luisent sous l’opalescente clarté émise par le miroir. Saisissant une serviette sur la desserte, il en entoure son pied après avoir délicatement enlevé le morceau de verre et versé du cognac en guise de désinfectant, non sans proférer quelques jurons bien sentis.

« Tu aurais au moins pu me prévenir !
-Je te l’avais dit, que tu saignerais.
-Mais tu ne m’avais pas dit comment !
-Si, je te l’avais dit, tu n’aurais pas marché sur le verre, tu ne te serais pas blessé et tu n’aurais pas saigné.
-C’est un peu l’idée.
-Cela devait être !
-Hein !
-Certaines choses doivent se passer ainsi.
-Pourquoi ?
-Il vaut mieux éviter les ingérences.
-Je ne comprends pas !
-Disons que c’est une question de dommages collatéraux.
-Je pige toujours pas !
-Va te coucher !
-T’as pas d’ordre à me donner.
-Dans ce cas, c’est moi qui vais me coucher ! Bonne nuit ! »


Le miroir se déphase légèrement, tandis que s’atténue cette luminosité fantasmagorique, laissant Tom, éberlué face à son reflet. Il fronce les sourcils, tâte la surface du verre d’un air sceptique, puis tourne le dos au miroir en se frottant la tête. Peut-être le barman avait-il glissé une substance suspecte dans sa vodka hier soir…

 

Chapitre 4

 

Gustav se réveilla comme un petit ange tiré de son pays des merveilles ce matin là. Son pied droit se glissa dans sa pantoufle droite, puis l’autre dans la pantoufle gauche. Il bâilla longuement, s’étira en levant les mains vers le plafond, puis se mit debout, d’un pas léger. Les rêves troublaient encore ses yeux, voilés par les souvenirs de son agréable nuit.

Tout portait à croire que ce serait une magnifique journée. Le petit blond se dirigea vers une chaise, casée dans le coin de la pièce, et sur laquelle reposaient ses vêtements. Sa main fouilla dans le tas d’habits pour en sortir un peignoir moelleux et doux qu’il déposa fièrement sur ses épaules, en respirant le tissu encore parfumé de la fraîche odeur de lessive.

C’est alors qu’un petit bruit parvint à son oreille, comme une petite voix qui l’appelait en sifflant entre ses dents.

« Pssst! »

Gustav fit un tour sur lui-même, se retourna dans l’autre sens, puis regarda le plafond. Comme il ne discernait rien de vraiment anormal, il haussa les épaules et marcha vers sa table de nuit. La veille, il avait refermé son livre sur une page qui l’avait frappé sans qu’il n’y ait vraiment prêté attention. Il feuilleta donc le bouquin jusqu’à ce qu’il retrouve le passage sur lequel il s’était arrêté la soirée précédente. On y parlait d’une nouvelle sorte de pédales pour les batteries, qui permettraient d’effectuer des roulements sur la grosse caisse.

Le batteur posa son doigt sur une ligne, quand le petit sifflement perça à nouveau le silence.

« Pssst! »

Tiré de son absorbante lecture, il leva les yeux vers le plafond.

« Il y a quelqu’un ? »

Silence de mort…
Gustav entreprit de poursuivre son activité, et il s’attarda plus longuement sur un mot qu’il avait du mal à déchiffrer, probablement à cause de cet étrange bruit à peine audible qu’il était pourtant persuadé d’avoir entendu.

« Pssst! »

Cette fois, il se retourna, et aperçu à l’autre bout de la pièce un miroir. Normalement, il aurait dû y voir son reflet, mais là, le fond était plus blanc que d’habitude ! Il plissa les paupières, referma son livre, puis regarda de nouveau vers le plafond.
Un sentiment étrange flottait dans l’air, un peu comme si on l’observait…

« Je rêve ou on m’a appelé ?
-Tu ne rêves pas ! »


Etonné d’obtenir une réponse, il se leva, et se dirigea vers le miroir. Décidément, il se passait quelque chose. Quelque chose de peu habituel. Comme le morceau de verre suspendu au mur commençait à sérieusement l’intriguer, il posa sa main dessus. Ce n’était ni chaud, ni froid, ni piquant, ni mou, ni rugueux, ni humide.
Juste… Normal. Sauf peut-être cette couleur de chaux qu’il pouvait observer.

« Tu me vois ?
-C’est toi qui parle ?
-Oui…
-Le… le miroir ?
-Je ne suis pas qu’un miroir !
-Mais,… tu vis ?
-Evidemment ! Sinon, comment voudrais-tu que je parle ?
-C’est mathématiquement impossible que la matière inerte puisse présenter des signes de vie ! »


Un long soupir amusé remplaça le petit sifflement qui l’avait interpellé un peu plus tôt.

« Voyons, petit bonhomme, je ne suis pas qu’un simple miroir ! Tu ne vois pas mon visage ? »

Le batteur plissa les paupières pour essayer de préciser sa vue floue.

« Je ne vois rien !
-Approche-toi! »


Il s’exécuta, tout en tâtonnant la surface lisse du verre. Mais il avait beau rétrécir son champ de vision, le fond du miroir restait d’un blanc crémeux presque uniforme. Pour finir, il colla son nez sur le miroir en ouvrant de grands yeux !

« Je ne vois toujours rien… C’est normal ?
-Gustav, recule-toi un peu, je vais finir par croire que tu veux me faire des avances ! »


La petite voix prenait un ton intimidé.

« Tu connais mon nom ?
-Mais voyons, tout le monde connaît ton nom ! Tu es le batteur des Tokio Hotel !
-C’est vraiment bizarre que je parle à un miroir !
-Je ne suis pas qu’un miroir, j’ai aussi un visage !
-Mais je ne vois pas !
-Normal, si tu colles ton nez sur le miroir, tu ne peux rien voir, tu es bien trop près. Comment veux-tu que tes yeux puissent accommoder ?
-Je n’y avais pas pensé, d’habitude, je vois sans problème.
-Tu ne portes pas des lunettes par hasard ?
-Ah, si, que je suis distrait ! »


Le blond traversa la pièce jusqu’à sa table de nuit, tâta sa surface de bois lisse jusqu’à ce qu’une fine branche métallique lui glisse entre les doigts. Il referma son poing dessus, ouvrit la deuxième branche, puis posa ses lunettes sur son nez. Tout semblait se préciser !
Au milieu du miroir, un visage ovale et pâle flottait sur un fond ouateux, semblable à l’aspect des nuages.
Deux yeux en amandes se plissaient, ce qui donnait au visage des allures de taupe.

« Tu me vois maintenant ?
-Ne te moque pas de moi, je n’y peux rien si la nature a voulu que je sois presque aveugle, enfin sauf pour lire !
-Heureusement qu’il y a les lunettes !
-Tu l’as dis !
-Même si dans peu de temps, on ne s’en servira plus puisque les gens disposeront d’une puce qui corrige automatiquement la vue et qui s’adapte aux changements des yeux ! »


Le batteur écarquilla ses yeux !

« Où tu as vu ça toi ?
-Dans un magazine tiens ! »


Il secoua la tête, puis regarda le miroir d’un air incrédule.

« Un magazine ? Et quel genre de magazine ?
-Oh, tu ne connais pas, ce n’est pas encore sorti !
-Quoi ? Tu lis des magazines qui ne sont pas encore sortis ?
-Euh, non, fin, si, dans un sens… En fait, c’est mon père qui travaille dans une boîte et qui rédige des magazines. J’ai donc toutes les exclusivités !
-Tu es un miroir qui a un père ? Depuis quand la matière inerte accouche ?
-Je ne suis pas qu’un miroir… J’ai un visage, je suis humaine, tu le vois bien !
-Mais comment est-ce que tu peux me parler, alors que si on s’en réfère aux lois de la physique, il faudrait te compresser les atomes de la tête pour te la faire entrer dans … ton… miroir. Et tu serais défigurée !
-C’est un mystère !
-Il y a une explication, n’est-ce pas ?
-Peut-être… »


Le batteur recula de quelques pas, puis s’assit au sol en fixant la tête qui flottait au milieu du vide.

« Tu me fascines !
-Ah bon ?
-Oui… On dirait que tu n’as pas de corps, et pourtant tu parles comme si ta tête était totalement indépendante… de ton cœur, ou de tes poumons.
-Eh bien, si je te fascine tant, je pourrai revenir… Mais là, le devoir m’appelle petit bonhomme.
Au revoir ! »


Le visage s’estompa en quelques secondes, sous les pupilles ébahies de Gustav qui n’arrivait pas à comprendre par quel moyen on pouvait faire entrer une tête dans un miroir ! Lorsque le verre eut retrouvé sa forme normale, le batteur se jeta sur l’une de ses plus grosses valises. Réajustant les lunettes sur le bout de son nez, il commença à la fouiller pour en ressortir un ouvrage qu’il n’avait jamais pris le temps de lire:
« Devenir magicien »
Comme le lui avait toujours dit sa mère, quand on fait de la magie, il y a toujours un truc. Il passe inaperçu aux yeux des amateurs, et c’est cela qui rend les tours les plus simples si fascinants. Le tout, c’est de prendre le temps de s’entraîner. Le petit blond se plongea donc dans une nouvelle lecture, où les photos de batteries étaient remplacées par des schémas mathématiques à caractère incompréhensible pour des esprits comme les nôtres. Les signes compliqués se succédaient, et lui-même avait du mal à comprendre cette langue qui se veut universelle…

Ce qu’il ignorait, c’est que même après avoir étudié tous les bouquins parus de nos jours sur cette terre au sujet des phénomènes magiques, féeriques, et même paranormaux, il n’aurait pas de réponse purement mathématique à la question:
« Comment faire flotter un visage au milieu d’un miroir ? »

Car c’est bien au-delà des mathématiques que se situe la réponse à cet étonnant prodige. Il y a toujours des réponses à quasiment tous les mystères de ce monde ou des autres, encore faut-il savoir où les chercher et surtout être capable de les accepter et là c’est une tout autre affaire …

 

Chapitre 5

 

Vers midi, Georg émerge péniblement d’une nuit plutôt agitée. Autour de lui, tout est dévasté : un oreiller moelleux rembourré avec des plumes gît au pied du grand lit, le traversin serpente à sa gauche, tandis que le drap froissé, à moitié repoussé, laisse apparaître son corps musclé, que la fraîcheur de l’air conditionné hérisse d’une légère chair de poule.

« Mon Dieu, pense-t-il, plus jamais de vodka après le champagne ! Sur le moment, ça passe tout seul, mais à long terme, le mariage n’est que bien peu prometteur. Genre à se faire un « lendemain d’hier » voire un « surlendemain d’hier »: mal à la tête, mal aux cheveux, courbaturé d’avoir mal dormi, bref la totale. »

Aux grands maux, les grands remèdes: deux aspirines et un immonde cocktail spécial « ivresse », très dégueulasse quand il vous imprègne la bouche, asséchée par les excès de la veille, d‘un goût médicinal, mais néanmoins très efficace, même s’il vaut mieux taire la recette de peur de susciter d’irrépressibles envies de vomir.

Encore à moitié abruti, le bassiste se dirige vers la salle de bain. Rien ne vaut une bonne douche, pour achever de se remettre en forme. Nanti d’un magnifique bonnet de bain, tandis que l’eau fraîche ruisselle sur ses épaules, il rêvasse à moitié, se remémorant avec bonheur le concert de la veille. Leur pause forcée lui a semblé bien longue: la scène, les fans, toutes ces émotions, même le trac lui manquait.

Une bonne quinzaine de minutes plus tard, ragaillardi par sa douche, il s’enroule dans un immense linge éponge et se sèche vigoureusement, avant d’enfiler, un boxer, un jeans et un t-shirt, qu’il avait déposés en prévision à côté du lavabo. Un dernier coup de peigne et en route pour aller déjeuner. Il s’observe dans le miroir tandis qu’il tente, à coup de laque et de peigne, de lisser ses cheveux, qui ont une fâcheuse tendance à friser naturellement. Manque de bol, il déteste ça.

Un éclat de rire se faire entendre.

« Tom, ta gueule !
-Désolée, tu te trompes de coupable, fit une voix amusée. »


Il passe la tête par l’embrasure de la porte, jette un œil dans la chambre, elle est vide. Psychose hallucinatoire auditive due à l’abus d’alcool, pense-t-il.

« Mais quand même, je me sens pourtant bien, je n’ai même plus mal à la tête. »
Georg se remet face au miroir et entreprend de défriser une mèche rebelle.

A nouveau un rire amusé retentit.

« Tu as oublié une mèche!
-Pardon ?
-A gauche.
-Ah, oui merci, répond-il machinalement, avant de réaliser que quelque chose ne tourne pas rond »


Le miroir se trouble, un fin visage féminin se dessine dans l’opalescente luminosité qui émerge du miroir, rendant quasi fantomatique l’atmosphère de la salle de bain.

Psychose hallucinatoire auditive et visuelle due à l’abus d’alcool, c’est pire. Je vois et j’entends des trucs qui n’existent pas, c’est fort inquiétant. Et si j’étais schizophrène ? Voyons, réfléchissons ; schizophrénie : psychose, qui se manifeste par la désintégration de la personnalité, et par la perte du contact avec la réalité.
Non, pas possible, je ne m’en rendrais pas compte, je suis encore capable de raisonner, enfin je crois…

« Coucou, je suis là!
-Moi, j’en suis moins sûr.
-Ah ! Pourtant tu me parles !
-Justement, je me demande si je ne parle pas à une hallucination !
-A ce que je sache, je n’en suis pas une !
-Prouve-le moi !
-Ça va être difficile, il va falloir me faire confiance !
-La confiance, ça se mérite.
-Et c’est toi qui dis ça ?
-Ça te dérange ?
-Venant de toi ! Oui !
-Dis tout de suite que l’on ne peut pas avoir confiance en moi !
-Disons une confiance toute relative !
-Menteuse !
-Crétin !
-Malpolie !
-C’est toi qui as commencé !
-Désolé, c’est sorti tout seul !
-Pour cette fois, je veux bien pardonner !
-On peut me faire confiance.
-Comme la fois où Tom t’a confié un secret et que tu l’as répété à Bill ?
-Comment tu peux le savoir, nous ne sommes que trois à connaître cette malheureuse histoire.
-Pas tout à fait.
-Je ne pensais pas que les jumeaux en parleraient !
-Ils ne l’ont pas fait.
-Donc, tu es ma conscience et tu essayes de me faire regretter mes actes.
-Je crois qu’avec toi, je n’utilise pas la bonne méthode !
-Ah bon, il faut une méthode pour me parler ?
-Pour te parler non, mais pour te convaincre, oui.
-N’est-ce pas la même chose ?
-La différence est subtile, mais elle n’en existe pas moins.
-Peu importe, je parle à ….un fantasme issu de mon imaginaire.
-Je ne suis ni une hallucination, ni ta conscience, ni un délire quelconque, je suis juste ….moi.
-Ego…Ego sum, Je suis moi, donc par extension tu es moi !
-Je crois que j’ai mal à la tête, on en reparlera…»


L’opalescence se fait plus ténue, jusqu’à disparaître complètement, laissant Georg devant son reflet, le peigne en main, sur une mèche toujours aussi rebelle. Renonçant momentanément à dompter ces maudites ondulations, il jette d’un geste exaspéré le peigne dans le lavabo et tourne précipitamment les talons pour rejoindre les autres. Il est déjà en retard et comme il reproche souvent cette tare aux jumeaux, il évite de montrer le mauvais exemple.

 

Chapitre 6


Pour remettre d’aplomb le groupe, le management a décidé de ne pas trop les pousser, le temps que la voix de Bill se rétablisse. Il faut dire que le traitement médical est parfois lourd car il entraîne chez le chanteur de nombreux effets secondaires qui l’asservissent à une fatigue permanente. Et puis, la rééducation progressive l’oblige à reposer ses cordes vocales qui doivent prendre le temps de se rétablir complètement.

Ce matin, les membres du groupe se sont donc réveillés avec chacun de nombreux projets qui s’éloignent du monde dans lequel ils baignent depuis tout petits: celui de la musique.
Gustav, accoudé à la vitre du van, observe le paysage qui défile sous ses yeux. Chaque détail, chaque anomalie de la nature suscite chez lui un émerveillement. D’un rocher à l’allure de champignon en passant par un lac aux reflets dorés, tout le fascine…

A côté, roupillant comme un loir, Georg ronfle, la bouche ouverte…
Il rêve peut-être qu’il rencontre de grands philosophes comme Platon, Socrate, Freud, Descartes, Montaigne, Blaise…
Et peut-être que ceux-ci ont aussi les réponses à toutes les questions existentielles qu’il se pose en temps normal:
« Pourquoi suis-je en vie ? », « Quel est mon but sur cette Terre ? ».
A tous les cas, ils semblent lui répondre que la vie n’a pour but qu’un ultime passage commun: la mort.
Mais il n’arrive pas à creuser plus loin.
Se dire qu’il est le bassiste d’un groupe phénomène ne lui sert pas à grand-chose pour élucider le mystère de l’existence de Dieu… qui est une question et doit le rester !

En face de lui, en train de se marrer, comme une vache, du filet de salive qui coule des lèvres de Georg, on peut retrouver Tom ! Lui, ses questions existentielles sont bien différentes…
Mais les détailler ne nous apporterait pas grand-chose. Si seulement il s’intéressait à la philosophie, à la religion…
Venant de lui, ce serait un miracle. D’ailleurs, arriver à lui ancrer dans le crâne la signification du mot « sagesse » semble déjà être au-dessus des moyens de tout être humain normalement constitué.
C’est un joyeux luron qui n’aime pas se poser trop de questions. Il vit un peu l’instant présent, sans vraiment se soucier des mauvais tours que lui réserve l’avenir.

En revanche, s’il y en a bien un qui s’en fait pour son avenir, c’est Bill. Mais attention, pas n’importe quel avenir: son futur proche. Est-ce qu’il aura le temps de se faire une nouvelle manucure ? Est-ce qu’il trouvera de nouvelles fringues à son goût dans le magasin qu’il s’apprête à dévaliser ? Est-ce que demain, il vendra toujours autant de singles?
Ne venez pas lui parler d’un âge trop avancé, mais surtout, n’envisagez en aucun cas la vieillesse…
Ces jours où il sera un vieux grabataire sénile, tenant debout grâce à sa canne, voyant mal devant lui à cause de ses yeux embués par la cataracte…

Le van s’arrête, et le chanteur est le premier à bondir hors du véhicule pour respirer l’air libre, même si son homologue le suit de près.
Puis, les deux derniers musiciens descendent à leur tour. Gustav soutient l’épaule de Georg, qui a du mal à sortir de son sommeil.
Ils se sourient tous, puis regardent les alentours.

« Là, il y a un magasin de vêtements, lance Bill, d’un ton enthousiaste.
-Ah non, pas encore des fringues!
-Oh, il y a une bibliothèque à cent mètres !
-Mais je veux des nouvelles chaussures moi !
-Tom, on a toute la journée, tu les auras tes chaussures !
-Personnellement, je ferais bien un tour du côté du parc animalier, il paraît qu’ils… »


Gustav est coupé dans sa lancée par les regards énervés des autres membres du groupe, qui n’en ont que faire de ses visites culturelles et trop instructives. Ils sont là pour se détendre, pas pour se plonger dans des visites très ennuyeuses.
Ils jettent tous un œil dans une direction différente. Bill a repéré depuis longtemps son magasin préféré: TAZUMA. Tom s’apprête déjà à faire du lèche vitrine chez les petits cordonniers du coin, tandis que Georg prête plus d’attention à la librairie qui vient d’ouvrir ses portes de l’autre côté de la rue.

« Bon, les gars, on fait quoi ? demande le batteur.
-Je propose qu’on se sépare. On a pas vraiment les mêmes centres d’intérêt…
-Georg, tu viens avec moi ?
-Moi je prends Bill! Hein Bill, tu viens avec moi faire les magasins de chaussures ?
-Oui! Je vais m’acheter des nouvelles santiags parce que les miennes commencent à rendre l’âme !
-Gustav, tu…
-Oui, je suppose que je viens avec toi… »


Tous se quittent sur un signe de tête qui marque leur accord.
Les jumeaux partent d’un côté, tandis que les deux aînés traversent la route.

Comme d’habitude quand les jumeaux se retrouvent seuls, la conversation bat son plein. Ils rient, de tout et de rien, se racontent leurs nouvelles, partagent leurs petits potins, leurs anecdotes…
Et pourtant, l’un comme l’autre semblent perturbés par un événement qui ne laisse pas leur regard indifférent. Ils errent le long des vitrines. Les magasins de lingerie, de bijoux, de maquillage défilent sous leurs yeux. Ils ne manquent pas de croiser des miroirs.

Et comme s’ils éprouvaient une certaine gêne à l’approche de ces objets pourtant des plus communs, ils baissent à chaque fois la tête. D’habitude, ils auraient davantage eu tendance à se regarder des heures durant pour déceler leurs imperfections, mais là, un malaise les en empêchait.

Bill retenait même sa respiration devant chaque miroir. Sa poitrine se gonflait, comme s’il voulait parler, puis il expirait sans ajouter un seul son. Devait-il en toucher un mot, ou non ? Et si on le prenait pour un cinglé ?
Tom, à côté, ne prêtait pas grande attention à l’attitude étrange de son homologue. Il faut dire que sa crainte s’accentuait aussi à chaque fois qu’il apercevait trop nettement son reflet…

Gustav et Georg, bien que bien plus discrets, appréhendaient de voir défiler sous leurs yeux des objets qui ressemblaient trop aux miroirs qui leur avaient donné des visions fantomatiques…
Si seulement ils étaient sûrs d’avoir réellement vu ce visage…
N’était-il pas au fond le fruit de leur pure imagination ?
Dans des cas comme les leurs, où l’alcool avait coulé à flot, certains pouvaient bien se remettre en question !

Pour eux, la dissimulation a été hissée au niveau de l’art et leur vie en est imprégnée. Toujours en représentation ou presque, que ce soit pour les fans, les journalistes, durant les concerts, les séances d’autographes...Même en vacances, pas moyen d’échapper à ces maudits paparazzis. Le moindre mouvement, la plus petite erreur sont sujets à polémiques. La dissimulation est donc devenue un art de vivre, même si au fond d’eux, ils en sont dégoûtés, être soi-même c’est le bonheur, mais quand chaque geste est susceptible de finir dans la presse à scandales, autant éviter.

Chacun d’eux donne une image de lui-même proche de la réalité, mais légèrement faussée, une sorte de jeu de rôles facile à suivre, mais avec certaines règles immuables afin d’éviter de stupides polémiques journalistiques. Qui a besoin de savoir que Bill est un angoissé qui souhaite toujours tout contrôler, que Tom est timide quand il s’agit de parler vraiment de sentiments, que Georg cherche toujours à comprendre et à aider tout le monde et que Gustav a une intelligence supérieure à la moyenne ?

Suivant machinalement ces règles de conduite, ils gardent leur vie privée bien à l’abri, même entre eux, pour souvent quoi, et ces étranges apparitions en font partie…un secret de plus, mais quel secret !!!

 

Chapitre 7

 

Il est minuit passé, la pleine lune éclaire la façade d’un somptueux manoir perdu quelque part au fin fond de la campagne allemande. Au loin une sombre forêt se profile pour s’étendre aux collines avoisinantes. Seule une fenêtre encore éclairée témoigne que les lieux sont habités et que pour certains, la nuit n’est pas forcément synonyme de sommeil.

La chambre est immense, une épaisse et douce moquette en recouvre le sol, quant au plafond, il est décoré de magnifiques frises en stuc, se poursuivant en entrelacs jusqu’au lustre de cristal qui en occupe le centre. Les lourds rideaux de velours sont retenus de chaque côté des hautes fenêtres par de jolies embrases ornées de pompons. Un grand lit à baldaquin, où se love une belle chatte persane à la robe de jais et aux yeux d’or, achève de rendre cette pièce semblable aux chambres des "Princesses de contes fées". Le plus étonnant au demeurant reste une jeune fille accroupie sous un grand bureau d’ébène, fort occupée à faire coulisser un tiroir secret pour en extraire un épais manuscrit recouvert de cuir ouvragé.

Elle s’assied ensuite confortablement dans un fauteuil de cuir, le rapproche du bureau afin d’être plus à l’aise pour écrire. Elle ouvre le livre à la page marquée par le signet et se saisissant d’une plume, en remplit les pages d’une jolie écriture tout en rondeurs. De temps à autre, d’un geste machinal, elle ramène une longue mèche de cheveux derrière son oreille, tout en continuant sa prose de l’autre main.

« TH für immer

-Rapport contact 1:

J’ai réussi à établir le premier contact, je n’en reviens pas, je leur ai parlé, c’est le plus beau jour de ma vie. Soyons sérieuse et professionnelle !

Pour ce qui est des fiches de planning, c’est en ordre, je pense que l’on peut s’y fier. Ils sont bien aux lieux et aux heures notées, au moins que cela serve que leurs plannings soient si sévères et leurs gardes si sérieux.

Ils sont un peu différents de l’image que je me faisais d’eux, quoique... Je précise que j’ai choisi un moment pour le premier contact, pour chacun d’eux, où je les savais plus ou moins sous l’influence de l’alcool. J’ai pensé que cela aiderait à faire passer la chose en douceur …

Bill, je lui ai fait une peur bleue ! À sa décharge, j’ai eu de la peine à régler le son et je lui ai un peu cassé les oreilles, du moins au début, après j’ai trouvé le truc et maintenant je le maîtrise parfaitement. Je le pensais plus fort, plus sûr de lui, mais bon à sa place, je ne sais pas comment j’aurais réagi.

Tom, le soi-disant charmeur, en privé, il est tout ! sauf poli. C’est limite s’il ne m’a pas insultée, enfin j’espère que son pied lui fera mal quelques jours et qu’après cela il me croira quand nous parlerons. J’ai peur qu’avec lui j’aie tendance à m’énerver, je ne sais pas pourquoi, mais j’ai comme l’impression qu’il est du genre à me taper sur le système, pourtant en général, je n’ai pas de préjugés, mais je ne le sens pas. Enfin, il va peut-être se révéler charmant au fil du temps…

Gustav, qu’il est mignon, tout sourire et très gentil! C’est celui qui a été le plus intrigué et qui a cherché à comprendre. Si l’un d’entre eux devait percer le mystère ce serait lui, il faudra que je fasse bien attention à tout ce que je dis, déjà que j’ai failli me trahir…Il ne faudrait pas que l’un d’eux découvre la vérité, cela ferait tout échouer à coup sûr !

Georg, avec lui, je ne suis pas sortie de l’auberge, il me la joue psycho à fond. Si je ne fais pas gaffe, il va me prendre pour Dieu ! Et, si…Non, ce ne serait vraiment pas malin de ma part et je risquerais de faire tout rater. Dans la mesure du possible, je dois à tout prix éviter de mentir, je risquerai moins de me trahir, voire d’être percée à jour !

-Prévisionnel :

Les laisser digérer quelques jours, puis reprendre contact. Bien choisir le lieu et le moment le plus propice, en prenant garde qu’ils ne soient pas sous une quelconque influence, alcool ou fatigue. Et surtout que chacun d’eux soit seul au moment des contacts, je dois minimiser les risques. Il faut absolument que j’arrive à les persuader non seulement que je suis réelle, mais aussi que je veux les aider et cela sans me trahir, sans trop interférer et le plus rapidement possible. Je ne pense pas que j’aurai une deuxième chance si j’échoue, donc ma première intervention devra être la bonne.

Faire très attention à ne pas me faire surprendre par mon père, il m’en empêcherait et me punirait certainement, pour avoir fait non seulement ce que j’ai déjà fait, mais encore plus pour ce que je veux faire, il m’a déjà parlé des risques d’ingérences, mais cela m’est égal, c’est trop important pour moi...et pour eux… »

Elle referme le livre d’un geste sec, en arborant un petit sourire triomphant. Toutes ces émotions lui trottent dans la tête. Elle ne se doutait sûrement pas qu’une telle rencontre était faisable ! Et pourtant, elle les avait vus de ses propres yeux, un à un. Elle avait pu écouter leurs voix, les dévorer du regard. Elle était l’une des seules à les avoir approchés de si près, bien qu’ils soient restés néanmoins trop distants à son goût.

En faisant jouer le mécanisme du tiroir secret pour ranger son vieux journal poussiéreux, bouclé par une lanière de cuir, elle ne manqua pas de repenser à tous ces événements. Ses doigts se posèrent sur sa joue. Gustav avait même posé ses lèvres sur elle !
Certes, c’était un accident. Mais cela prouvait bien qu’il était réel!
Le tiroir grinça, elle enfouit le livre dans le fond du meuble, avant de le refermer en soupirant.

Elle repoussa ensuite le fauteuil contre le mur, en veillant à ne pas faire trop de bruit pour ne pas réveiller son paternel, qui devait déjà dormir depuis un bout de temps. Ses petits pieds fins se glissèrent sur la moquette, se posèrent sur le lit, puis glissèrent sous la couette richement ornée de fils d’or.

Elle s’enfonça dans les draps, écarta les bras autour d’elle, mimant une étoile de mer. Les yeux rivés vers le plafond du lit à baldaquin d’où tombaient les longs rideaux de velours, elle laissait ses rêves lui envahir l’esprit.
Désormais, son désir le plus fou était à portée de main…

 

Chapitre 8



Tom passa sa main sur la surface de l’eau, qui vibrait sous le mouvement de ses doigts, s‘agitait quand il y enfonçait son poing. Il tapota légèrement le liquide d’un blanc légèrement trouble, à cause du savon qu’il y avait ajouté. S’armant d’un gant, le guitariste gonfla sa poitrine en observant son reflet dans le miroir. Un sourire s’empara de lui quand il constata que les abdominaux qu’il faisait tous les soirs commençaient à porter leurs fruits, ébauchant de légères tablettes de chocolat sur son ventre.

Le gant humide et chaud se posa sur sa peau dénudée, alors qu’il traçait de petits cercles concentriques qui traînaient derrière eux une mousse blanche et rafraîchissante.

Il avait passé une nuit merveilleuse. Cette fois, il avait réussit à ramener une jeune fille dans sa chambre sans avoir recours à l’alcool. Son apparente timidité s’était volatilisée grâce à l’assurance dont faisait preuve sa partenaire d’un soir.
Certes, ce n’était pas sérieux. Il aurait vite oublié cette fan un peu naïve, mais il ne pouvait pas nier que sa soirée avait été très plaisante, qu’il en garderait de bons souvenirs.

Il craignait juste que la presse réussisse à obtenir cette information, qu’elle fasse le tour du monde, et que cette pauvre innocente soit harcelée par les groupies. Mais au fond, c’était elle qui l’avait provoqué. Il n’avait aucune raison de s’en vouloir. Pas comme toutes les autres qui avaient précédé…

Et puis, ça ne ferait que renforcer l’image de lover qu’il véhiculait à chaque déplacement.

Tom esquissa un sourire ravi, puis il plongea le gant dans l’eau. Des bulles remontèrent à la surface, tandis qu’il fixait sa main se perdant dans l’eau blanchâtre. Sa peau parcourue de frissons se hérissa légèrement…
Il boirait moins souvent ! Pour une fois, il n’avait ni trou de mémoire, ni gueule de bois, ni mal aux cheveux. Seule subsistait cette impression d’avoir profité de la moindre seconde, de chaque geste, chaque caresse, chaque baiser.

Tom ressortit sa main de l’eau, alors qu’un petit grésillement coupait le silence et sa solitude.
Le blond fronça les sourcils, puis se regarda dans le miroir. Ses dreads tombaient sauvagement sur ses épaules frêles, encadrant son visage d’habitude si souriant.

Une petite voix perça le grésillement, accompagnée d’un petit rire.

« Alors Tom, tu t’es bien amusé cette nuit ?
-Oh, Joanna, je… »


Il se retourna en croyant parler à cette jeune fille avec laquelle il avait partagé sa nuit. Mais la porte derrière lui était toujours close. Il s’étonnait lui-même de se souvenir de son prénom. D’habitude, elles plongeaient dans l’anonymat avant qu’il ne s’endorme…

« Ah ! moi ce n’est pas Joanna ! »

Tom fit un tour sur lui-même, puis se rendit compte que le miroir faisait des siennes, et se troublait en prenant la couleur de son eau.

Il croyait avoir déjà vu ça quelque part ! Plissant le front d’un air sceptique, il s’approcha de l’objet pendu au-dessus du lavabo, et tenta de se rappeler ce qui c’était passé la dernière fois que ce phénomène s’était produit sous ses yeux.

Il lui fallu remonter près de trois semaines en arrière pour se souvenir du ton de cette petite voix !

« T’es revenue toi ?
- Oui !
-Tu viens me prédire quoi ? Que je vais me fracasser le crâne sur le bord de la baignoire ?
-Pas tout à fait ! »


L’ébauche du visage d’une jeune fille apparut dans le miroir. Elle était pareille que la dernière fois ! Deux yeux vert pâle en forme d’amande, un long nez fin, des traits si délicats qu’ils semblaient crayonnés sur une feuille de papier.

« Tu ne peux pas passer à un autre moment que quand je me lave ?
- J’avais juste envie de te voir comme ça !
-C’est ça. Je suis pris de toute façon !
-N’importe quoi. Demain ton petit coup d’un soir, tu l’auras oublié !
-Même pas vrai !
-Je te parie que si…
-Et puis de quel droit tu t’introduis chez moi ?
-Parce que j’en ai envie !
-Tu fais ça avec beaucoup de gens ?
-Oui… Attention Tom, ne laisse pas ta serviette de bain à terre, tu risquerais de trébucher dessus ! »


Le guitariste haussa les épaules en dessinant sur son visage une moue dédaigneuse. Pour qui se prenait-elle à jouer le rôle de sa mère ? De quoi je me mêle ?

« Tu peux partir ?
-… Si on me le demande gentiment, ça peut se négocier !
-Hum… J’aimerais que tu dégages, car j’étais juste en train de faire ma toilette en toute intimité, et tu me gênes légèrement !
-Tu ne changeras pas, toi !
-Quoi ?
-Tu as toujours autant de politesse et de tact !
-Je sais ! »


Le guitariste tira la langue au miroir, puis il recula de quelques pas. Son pied glissa sur son linge, qui traînait au sol. Il perdit l’équilibre et se retrouva assis au milieu de la pièce, un peu étonné de cette chute légèrement inattendue !

« Je te l’avais dis Tom !
-Gnagnagna… Fais ta petite madame-je-sais-tout qui prévoit tout !
-Tu es vraiment arrogant !
-Et toi tu m’énerves !
-Ce n’est pas forcément le but !
-Casse-toi !
-Hum… tu ne sais pas ce que tu rates ! »


La petite voix s’estompa, le blanc crémeux du miroir laissa place à l’image nette de la douche. Mais Tom resta au sol encore quelques secondes.
Qui était-elle pour oser s’introduire dans sa vie privée ? Il soupira longuement, regarda son pied.
Cette fille était vraiment étrange. A croire qu’elle prédisait les malheurs rien qu’en l’avertissant des dangers qui le menaçaient. D’abord, cette coupure de verre, ensuite, cette chute. Prédiction ou plutôt provocation, la marge est minime, mais bien réelle….. A croire qu’elle manipulait les objets environnants pour qu’il se blesse. Pourquoi ? Quel intérêt aurait-elle à susciter des catastrophes ?
Va-t-elle me faire chanter pour que cela cesse ? Se relevant non sans une grimace de douleur, il passa sa main sur son coccyx douloureux, la deuxième tenant fermement le rebord du lavabo. Redressant la tête, il observa songeusement son reflet.

Mais voila, c’est ça, je lui plais, elle veut coucher avec moi et maintenant qu’elle m’a prédit deux malheurs, elle va me menacer de tous les maux de la terre si je ne passe pas une nuit avec elle ou pire plusieurs….. Après tout elle est pas si mal, ses yeux sont envoûtants….. Non mais ça va pas la tête, je ne vais pas succomber, c’est la fille qui succombe, moi je profite et surtout je choisis. Il ferait beau voir que je devienne un mec facile !

Désormais, il en était sûr. Ces visions étaient bien réelles, mais bien peu rassurantes. A vrai dire, il avait déjà appris à haïr cette fille pas comme les autres…
Et il entendait bien ne pas concéder d’amour ou d’amitié avec elle !

 

Chapitre 9

 

Après une enrichissante journée alliant la visite d’un prestigieux musée, d’une bibliothèque richement fournie et passionnante à souhait, clôturée par un footing dans un magnifique parc durant lequel il réussit à semer Saki, Gustav s’apprêtait à prendre une bonne douche revigorante avant de rejoindre les autres pour le repas du soir.
La fatigue accumulée dans ses muscles commence à se faire sentir, mais il renonce à s’affaler sur un divan un peu trop confortable en rentrant.

Tout en se débarrassant de son training, il rigole encore du sale tour qu’il a joué à Saki: c’est devenu un petit jeu entre eux. De son côté, il essaye de le semer au détour des chemins sinueux ou en accélérant sa course pour rapidement se dissimuler derrière un arbre ou quoi que ce soit d’assez grand pour le cacher, tandis que le pauvre garde du corps fait tout pour suivre le rythme imposé par le jeune batteur, beaucoup plus sportif que lui.

Cette fois il a fait fort en se jetant à plat ventre derrière un vieux tronc d’arbre mort au bord du chemin. Saki n’a rien remarqué, et pourtant, il est passé puis repassé à moins de deux mètres de lui. Il l’entendait même maugréer des trucs du genre : « Quel sale gosse, mais quel sale gosse !!! »

Soudain un rire cristallin se fait entendre et une petite voix flûtée murmure :

« Que tu peux être sadique avec ce pauvre Saki, quand même !
-Comment peux-tu …Ah, oui, je me souviens, la tête dans le miroir !
-Je ne suis pas qu’une tête, mais oui c’est bien moi.
-Je ne te vois pas.
-Tu as tes lunettes ?
-Oui !
-Oh ! Désolée, j’ai dû mal régler le …
-Le quoi ?
-Peu importe ! »

Comme c’était arrivé précédemment, le miroir vibra légèrement, s’opacifia pour finir par diffuser cette étrange lueur opalescente dans laquelle flottait un fin et charmant visage féminin, encadré de longs cheveux. Gustav l’admira béatement, sans ajouter le moindre mot. Ses yeux pétillants suffisaient à discerner ses pensées, chavirant entre la fascination et ce goût qu’il portait à tout ce qui était « hors norme » !

« Tu sais que depuis ces trois dernières semaines, je pense souvent à toi ?
-Ça c’est gentil !
-J’ai passé beaucoup de temps à essayer de résoudre le mystère !
-Ça l’est moins !
-Quoi ?
-Gentil !
-Quelle importance ?
- Il n’y en a pas vraiment, mais je pensais que tu t’intéressais à moi ?
-C’est le cas !
-Comme à une personne, pas comme à un cobaye !
-Ah !
-Je suis une personne !
-Tu en es sûre ? Scientifiquement parlant, ton apparition ne s’explique pas !
-Et alors ?
-Ce que la science ne peut expliquer n’existe pas !
-Donc l’âme n’existe pas ?
-Si, même qu’elle pèse 21 grammes.
-Tu en sais des choses !
-Je lis beaucoup.
-Je vois, je vois.
-Au fait, comment tu sais pour Saki ?
-Je sais beaucoup de choses.
-Beaucoup trop oui…Tu m’espionnes ?
-Non, je n’ai pas besoin de recourir à ce genre de procédés.
-Pourtant, à part lui et moi….je ne pense même pas que les autres le sachent.
-Dans le monde, il est rare de pouvoir garder certaines choses secrètes, surtout lorsque l’on est célèbre !
-Hélas !
-Le revers de la médaille.
-Comme tu dis, si tu savais comme c’est lourd à porter !
-Mais pratique pour moi !
-Pratique ?
-Peu importe !
-Tu es bien mystérieuse !
-Tu comprendras en temps et en heures, je te le promets. »

Tout en discutant avec elle, une idée lui passa soudain par la tête, elle n’allait pas apprécier, mais il voulait en avoir le coeur net. Il hésitait cependant à la mettre à exécution de peur de la fâcher ou de la faire fuir. Pensivement, il marcha jusqu’à la desserte à côté du miroir et se servit un grand verre d’eau fraîche. Il but une longue rasade et décida de couper la poire en deux, il n’allait pas la prendre par traîtrise, mais utiliser une semi-vérité.

« Serais-tu d’accord pour que je tente une petite expérience ?
-C’est à voir ! Cela dépend quoi !
-Donc tu n’es pas opposée au principe ?
-Non !
-Est-ce que tu arrives à…. comment dire… à sortir plus la tête du miroir ?
-Je ne sais pas, je vais essayer ? »

Joignant le geste à la parole, elle s’avance légèrement et sa tête se détache plus franchement du miroir, sous les yeux admiratifs du batteur qui sent l‘excitation jaillir dans sa poitrine. Gustav, sans plus tergiverser, lui balance le reste de son verre d’eau en pleine figure en observant la suite avec beaucoup d‘attention. De surprise, elle ferme les yeux, se passe la main sur le visage pour y enlever quelques mèches de cheveux humides en lui lançant un regard pour le moins courroucé.

« Ça va pas la tête, tu veux que je t’aide ?
-Heu, non, je voulais juste voir…..
-Voir si l’eau ça mouille, je confirme : l’eau ça mouille et la terre est ronde, fit-elle d’un ton narquois.
-Enfin, c’est pas tout à fait cela !
-Toujours est-il que je suis mouillée.
-Ça me prouve que tu es réelle !
-C’est ce que je me tue à te dire depuis notre première rencontre.
-Maintenant je l’ai scientifiquement prouvé.
-Si tu le dis…
-CQFD (Ce qu’il fallait démontrer)
-Mieux vaut que j’aille me sécher avant d’attraper la mort.
-Tu es mortelle ?
-Pourquoi ? Pas toi ?
-Je ne vis pas dans un miroir !
-Moi non, plus, je te rassure, je ne fais que l’emprunter.
-Tu vis où ?
-Dans un manoir !
-Plus précisément ?
-C’est pas le moment, on en reparlera…ou pas.
-Tu m’en veux ?
-Disons qu’à l’avenir, je me méfierai !»

Son visage sembla se fondre dans le verre, tandis que le miroir reprenait son aspect habituel, laissant Gustav perplexe. Il tenait toujours son verre vide à la main, regardant le miroir parfaitement sec et la moquette humide.
L’énigme n’était pas près d’être résolue, même si ce petit jeu l‘amusait...
Il avait l’impression qu’au lieu de trouver une solution aux anomalies, celles-ci lui ouvraient la voie sur des phénomènes si peu courants qu’ils lui semblaient presque… impossibles !
Ses yeux passaient alternativement du miroir à la moquette, cherchant l’erreur qui s‘était dissimulée dans le décor, le petit détail qui lui avait échappé. Mais il n’y avait pas d’erreur, juste un mystère de plus…

 

Chapitre 10


Georg avait beau se rapprocher continuellement du miroir, il peinait à trouver la condition adéquate pour percer ce gros bouton blanc qui enlevait à son visage tout le charme apporté par ses yeux vert émeraude…

Après ses oreilles décollées qu’il avait réussi à cacher derrière ses longs cheveux lisses, et qui lui donnaient néanmoins du fil à retordre tous les matins, la nature avait absolument voulu lui rajouter des défauts, en faisant de lui une innocente victime de l’acné juvénile.

« Saleté de ***** ! Viens ici que je t’attrape…Non, non… Tu ne me résisteras pas longtemps ! Tonton Georg est plus fort que toi! Il va te réduire en miettes en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire ! »

A ce moment là, il pinça son bouton entre les ongles de son index et de son pouce, ce qui eu pour effet de provoquer une mini-éruption sur le visage du bassiste qui grimaçait de douleur. Une comédie légèrement exagérée par le spectacle qui se produisait sous ses yeux.

En effet, une goutte du liquide qui venait de sortir de son point blanc, au départ de petite taille, s’étalait sur la surface du miroir, en délavant son reflet pour le remplacer par un fond plus brumeux…

« Maman… J’ai des sécrétions corrosives qui rongent le verre ! Qu’est-ce qu’il m’arrive ? »


Le bassiste plaqua sa main gauche sur son visage, étira sa joue en regardant avec horreur la tache blanche qui remplissait déjà presque tout le miroir ! Ses yeux écarquillés se rétrécissaient, il recula de plusieurs pas…
« Non, non…Si ça se trouve, c’est encore une psychose visuelle ! Je suis malade !
-Pour être malade, il faudrait avant tout que tu sois ! »


C’était toujours la même petite voix enjouée qui parcourait les murs de la pièce, avec ce ton fluet et amusé !

« Non ! Pas toi ! »

Le visage se dessina avec précision dans le miroir, alors le bassiste posa ses paumes sur ses yeux.
« Psychose auditive et visuelle, ça recommence !
-Rassure-toi Georg, tu n’es pas malade ! »

L’interpellé leva les yeux vers le verre à la clarté opalescente, puis il fronça un sourcil…
« Comment tu pourrais le savoir d’abord ?
-Du moins, on peut toujours l’espérer !
-De quoi ?
-Que tu ne sois pas malade !
-Mais je vois… des… images bizarres dans mon miroir ! J’ai forcément un problème !
-Peut-être que non, si tu espères le contraire !
-Ouille, avec quoi tu viens là ?
-Si tu n’espères pas l’inespéré, tu ne parviendras pas à le trouver…
-Euuh! »

Le bassiste se massa le front, puis posa à nouveau son attention sur le visage blanc nacré qui se mouvait avec une étrange facilité dans le miroir. Celui-ci se mit à rire, en voyant que le musicien semblait légèrement perdu dans ses pensées…

« Alors, dis-moi, est-ce que tu as trouvé qui j’étais ?
-Attends… Tu m’embrouilles là!
-C’est toi qui m’embrouillais la fois passée !
-Je suis malade, il faudrait d’abord que…
-Que tu sois sûr que tu sois !
-Mais oui je suis !
-Tout comme moi !
-Mais ça, je ne peux pas le prouver !
-Pourquoi pas ?
-Parce que tu es une tête dans un miroir qui parle… Et que… Tu es peut-être le produit de mon imagination !
-Et comment pourrais-tu prouver que je suis ?
-Si… tu me faisais un geste qui prouverait que tu es réelle !
-Je n’aime pas cette façon de penser là ! Je te dirais plutôt qu’il faut philosopher, car la pensée va plus vite que la réalité !
-Philosopher ?
-Oui, montre-moi que tu peux prouver que je suis, avec un peu de philosophie…
-Eh ! bien…Avant de le prouver, il faut que tu me le prouves toi-même !
-Il te suffit de m’accorder ta confiance pour cela !
-Te faire confiance, c’est beaucoup trop pour moi… Tu es un reflet, une image, je ne peux pas faire ça !
-Pourquoi pas ?
-Je viens de te le dire. Je n’ai pas grand-chose à parier en affirmant que tu existes, et comme le dirait Pas…
-Chut! C’est un voyage dans ta conscience au dessus de tes moyens, n’est-ce pas ?
-Je n’ai pas accès à mon inconscient en claquant des doigts ! Même si Freud…
-Comme dans tout voyage, le plus difficile est de franchir le seuil…Tu dois accepter de te poser des questions qui dépassent ta conscience ! Tu en es capable, Georg…Prouve-moi que je suis.
-Alors, je vais faire beaucoup plus simple…
- J’attends de voir !
-Tu as un nom ? »

Le visage de la jeune fille s’empreint d’une moue pensive, puis elle plissa les paupières en rigolant.
« Oui, pourquoi ?
-Si tu as un nom, ça veut dire qu’on t’identifie. C’est déjà un pas de plus vers la victoire: celle de prouver que tu es. Quelque chose sans nom a beaucoup moins de chances d’être, non ?
-Sûrement…
-Alors, quel est ton nom ? »

Les yeux du visage se mirent à pétiller…
« Mon… mon nom ?
-Oui, ton nom…
-Midona !
-C’est un beau nom… Je vais méditer là-dessus… Peut-être qu’il y a moyen que je croie à ce que tu me dis !
-Oui, médite seulement… La voix du silence est le chemin qui guide vers la sagesse… »


Et le visage s’effaça, aussi vite qu’il était venu, abandonnant le musicien à la vision de son reflet un peu rougi à l’endroit où il venait de se débarrasser de ce bouton qui le défigurait. Il resta un instant coi, repensant à ce dialogue complètement farfelu…

La moitié des personnes n’aurait rien compris à leurs propos, mais cette fille ne manquait pas de ressources intellectuelles…
Peut-être qu’au fond, elle était, pour pouvoir assimiler autant. Ou au contraire, peut-être était-elle l’illusion de la perfection. Ou encore, simplement un rêve qu’il vivait éveillé. Toujours est-il que depuis qu’il avait posé un nom sur ce visage, il se sentait prêt à accepter qu’elle soit autre chose que sa conscience ou qu’une hallucination.
Mais de là à la considérer comme une humaine, il faudrait qu’il médite encore de longues heures pour se sortir dans ce dilemme où il n’était pas vraiment sûr d’avoir quelque chose à gagner, si ce n’est une folie qui l’entraînerait dans les noirceurs des contradictions…

Toutefois, cette étrange jeune fille l’intriguait de par ses connaissances et sa faculté d’adaptation. La première fois, elle avait eut l’air perdue quant à ses propos, tandis que la seconde, elle se montrait capable de digresser philosophiquement à la perfection. Une telle vitesse d’apprentissage et de réflexion tient du miracle, comment a-t-elle pu assimiler aussi rapidement de tels principes et réussir à le troubler à ce point par la pertinence de son discours, c’est prodigieux ?

« Comment finalement douter de sa réelle existence puisqu’elle est capable de le pousser à une réflexion autrement plus élaborée que son schéma de pensée habituel ? Ou alors seraient-ce ses pensées qui perdaient en faculté au vu de ses fréquentations peu portées sur la rhétorique ? Quand même mes amis ne sont pas des idiots ! Mais il faut admettre que question pensée philosophique « ça ne vole pas haut ». N’empêche que cela me manquait ce genre de joutes oratoires, mon sens de la répartie a pris un sérieux coup de vieux, elle a quand même eu le dernier mot : c’est vexant … »

 

Chapitre 11


« Zut, il ne me reste que trente minutes et je ne suis même pas maquillé, peste Bill.
Saki et les autres vont encore me faire des remarques, pourquoi c’est toujours sur moi que ça tombe ?
-Parce que tu traînes toujours au lit et que tu retardes au maximum le moment de te lever, lui répond une voix rieuse. »


Le reflet du bel androgyne s’estompe pour une douce clarté qui laisse apparaître un fin et joli visage féminin qui le regarde en souriant. La glace se déforme légèrement et on entend un petit grésillement au moment où la tête semble en sortir pour occuper un espace tridimensionnel.
De surprise mêlée de peur, Bill laisse échapper de ses mains le fard à paupières qui chute au sol en se brisant sous l’impact.

« Merde, c’est bien ma chance !
-Tu en as un autre dans la seconde poche de ta valise noire !
- Comment tu sais ça toi ?
-Je le sais !
-Tu es effrayante, lui lance-t-il d’une voix rendue plus aiguë par la peur.
-Je te l’ai dit la première fois, je ne te veux pas de mal, je suis là pour t’aider !
-M’aider en quoi, en t’immisçant dans ma vie ?
-Pour le moment, en évitant que tu sois trop en retard, ce qui pourrait t’attirer des ennuis !
-Quels ennuis ?
-Du genre : te retrouver sans garde du corps, coincé dans l’ascenseur avec des groupies !
-Tu parles de toi ?
-Ah non, je ne peux pas être dans les miroirs et dans un ascenseur en même temps.
-Les miroirs ?
-Heu, le miroir je veux dire !
-Tu prédis l’avenir ?
-Non, personne ne peut le prédire, l’avenir n’est pas écrit ; certains chemins sont plus ou moins tracés, certains passages obligatoires, mais le libre-arbitre reste le maître mot.
- Alors comment peux-tu deviner ce genre de choses !
-Je ne les devine pas, je les sais tout simplement !
-C’est impossible !
-Il faut croire que non !
-J’en aurai le cœur net ! »


Bill sort de la salle bain, entreprend de sortir la valise noire du placard, et répand la moitié du contenu sur le sol dans sa hâte d’atteindre la fameuse poche. C’est finalement d’un enchevêtrement de boxers, de t-shirts se déclinant dans quasi toutes les couleurs qu’il finit par extirper victorieusement la boite de maquillage du fin fond de la valise. Enjambant le tas de vêtements, il regagne précipitamment la petite pièce. Il dispose encore de vingt minutes.

« Tu me sauves la vie !
-N’exagérons rien, ce n’est que du fard à paupières !
-A tes yeux peut-être, mais aux miens c’est indispensable.
-Tu découvriras bientôt qu’il y a bien plus important dans la vie !
-Quoi donc, la musique ?
-La vie elle-même !
-C’est une menace ?
-Que nenni ! Au grand jamais je ne te menacerais, je t’aime bien trop ! »


Cessant de se farder, le jeune homme observe son vis-à-vis d’air intrigué : quelle étrange révélation. Cette personne qui se cache derrière, ou plutôt dans les miroirs, serait-elle amoureuse de lui ? Vouloir un amour parfait, un amour pur, un amour unique et éternel, n’est-ce pas son rêve ? Mais au point de matérialiser son souhait sous la forme d’un être éthéré qui vit dans les miroirs… En fait d’être immatériel, l’est-elle réellement ou moins qu’il n’y paraît ?

Les yeux dans les yeux, ils s’observent longuement, d’aucun n’osant rompre le silence, la magie de ce moment où le temps semble suspendu…

Bill doucement, tend sa main et du bout des doigts dessine les contours de ce charmant visage, qui semble frissonner sous cette caresse. Il y voit une larme couler, qu’il recueille précieusement sur le bout de son index. Il examine un instant la précieuse goutte qui trône au bout de son doigt, avant de la porter à ses lèvres en en savourant le goût salé. Cette fois, il est sûr que ce n’est pas un mirage, pas un fantôme, ni une illusion, mais un être bien réel, qui ressent la souffrance et la peine, qui est capable de pleurer. Un cœur et une âme au-delà des miroirs.

Il plonge à nouveau son regard dans celui de la jeune fille qui admire le moindre de ses mouvements, émue par le geste que vient d’accomplir le chanteur. En bafouillant légèrement, elle interrompt cet instant magique qui la met légèrement mal à l’aise.

« Je regrette !
-Quoi ?
-D’être ce que je suis !
-Humaine ?
-Non !
-Tu n’es pas humaine ?
-Si !
-C’est pas clair !
-Je regrette, ce qui a été, qui aurait pu être et ne sera probablement jamais !
-C'est-à-dire !
-Je n’appartiens pas à ce monde et n’y appartiendrai probablement jamais.
-Probablement ! Cela laisse entrevoir une possibilité ?
-Le temps y répondra… il te reste environ trois minutes.
-Tu reviendras ?
-Je serai toujours là pour toi !
-C’est une promesse ?
-Oui et je ferai tout pour la mener à bien.
-Comment ?
-En te préservant ! Maintenant va, l’heure tourne et bientôt il ne sera plus temps.
-A bientôt !
-Si tu manques Saki, prend le second ascenseur sur la gauche, évite à tout prix le premier … »


Sur ces étranges paroles, le visage de l’énigmatique jeune fille se fond dans le verre, l’opalescente luminosité s’estompe pour laisser place à son visage d’ange, dont seul l’œil droit est ombré par d’habiles coups de pinceaux. Hâtivement Bill termine de se maquiller, encore sous le coup de cette rencontre et de ses révélations surprenantes autant qu’effrayantes. En frissonnant, il achève son œuvre par un peu d’eye-liner.

Il saisit sa veste au passage et sort précipitamment de la chambre, pour voir, en bout de couloir, la porte de l’ascenseur se refermer sur Tom, Toby et Saki, ils ne l’ont pas attendu. Se souvenant de la mise en garde, il se met devant la seconde porte et appuie sur le bouton. Après un moment qui lui semble interminable, les portes s’ouvrent sur une cabine vide. Le noiraud en franchit le seuil. Au moment même où les portes se referment, il entend un vacarme assourdissant et voit six groupies en sortir. Il a eu de la chance, mais est-ce bien de la chance ?

 

Chapitre 12


Portant la main à son cœur, puis réarrangeant une fine mèche de cheveux derrière son oreille gauche, Midona se met à sourire. Elle tient contre sa poitrine son journal, un ouvrage soigné, lacé par une lanière de cuir.

S’installant à son aise sur son bureau, elle pose le livre devant elle, puis se saisit d’une plume qu’elle trempe dans un encrier en or qui reflète la lumière du lustre en cristal disposé au dessus de son lit à baldaquin.

Cherchant ses mots, elle laisse la plume lui caresser les lèvres, alors qu’elle songe à quelques souvenirs. Les yeux rivés sur le portrait peint de son père, elle profite de ce moment de solitude pour exalter intérieurement sa joie, qui se manifeste par de petits cris ravis, mais néanmoins discrets.

Puis, elle trempe à nouveau la plume dans l’encrier, ouvre une page vierge dans son journal, avant de poser sa main sur l’ouvrage jauni. Des lettres rondes jaillissent de ses mouvements, écrites à une vitesse affolante, alors que ses yeux pétillent d’un bonheur sans limites.

« TH für immer

-Rapport contact 2:

Je les aime ! Peut-être les premières pensées qui me traversent l’esprit quand je pense à eux…
Les revoir, ça m’a fait un bien fou. Il faut dire qu’entre les journées de solitude où j’étoffe soigneusement ma collection d’objets qui les concernent, j’ai souvent envie de parler, sans avoir personne avec qui dialoguer.

Mais soyons un peu plus sérieuse.
Tom n’a pas beaucoup changé par rapport à la fois passée ! Toujours aussi malpoli, très peu accueillant. On dirait qu’il n’a comme but que de rabaisser ceux qui l’entourent, et qu’il n’a d’yeux que pour lui.
Il m’a lancé de ces regards ! A croire qu’il me hait ! Pourtant, j’ai été délicate avec lui !
A part ça, il est vraiment mignon ! Bien musclé, tout ce dont rêve une fille de mon âge, même si je ne peux évidemment pas dire ce genre de choses à n’importe qui; il faut rester raisonnable. Dommage qu’il ne soit pas un peu moins égocentrique…

Pour ce qui concerne Gustav, j’ai particulièrement désapprouvé l’un de ses gestes. Il m’a lancé un verre d’eau à la figure! En soi, ça m’a fait rire, mais j’avais si peur que cela cause une défaillance du système! Tu imagines, si je me retrouvais coincée entre deux mondes ? Qu’est-ce que je ferais ? Sinon, j’ai bien l’impression qu’il a du potentiel, ce petit, et qu’il est bien capable de découvrir qui je suis. Mais laissons-le mijoter encore un petit peu dans ses mystères ! Il est intelligent, mais un coup de main ne lui sera pas de refus !

J’ai fait preuve de beaucoup de talent avec Georg ! J’ai bien fait d’aller chercher quelques bouquins de psychologie dans la bibliothèque de Maman ! Je lui ai lancé des phrases auxquelles il n’a absolument rien compris…
Il avait réussi à bien me retourner les neurones la fois précédente, mais là, c’était à moi de le faire mijoter un peu dans son ignorance ! Il m’a même demandé mon nom!
D’ailleurs, je ne saurais pas vraiment décrire cette onde de chaleur qui m’a parcourue quand il m’a appelée « Midona ». Je suis sûre qu’ils ne prennent jamais la peine de s’intéresser aux prénoms des autres fans, et à vrai dire, ça m’a fait plaisir. Comme si quelque part, ils acceptaient que je me lie avec eux.

Je sais que je ne devrais pas espérer ce genre de choses, mais comme toute adolescente, j’ai mes rêves. Ce serait dommage de m’obliger à les briser…
L’espoir fait vivre, n’est-ce pas ?

…Ma plus belle rencontre, ça a été celle avec Bill…
Au début, je l’ai un peu effrayé, mais il n’était pas aussi farouche que précédemment. Ce qui m’a touchée, c’est quand il a posé sa main sur ma joue. Je ne savais pas que cela pourrait me faire tant d’effets vu les circonstances. Nos mondes respectifs sont à la fois si proche et si lointain, mais j’ai senti la chaleur de sa peau sur mon visage. Tu imagines ? Bill Kaulitz m’a touchée ! Et j’ai pu apprécier ce moment dans le calme. Pas comme s’il me l’avait fait devant d’autres filles qui se seraient mises à hurler.

C’est peut-être ce privilège qui fait de moi l’humaine la plus heureuse du monde.
Je les ai vus, je les ai entendus, je les ai touchés. Mais tout ça, juste entre eux et moi…
Bref. C’est magique…

- Prévisionnel:

Les revoir le plus tôt possible, quand ils seront disponibles…
Surtout, essayer de ne pas me trahir, ne donner aucun indice. Même si certains m’ont malheureusement déjà échappé !

Je pense notamment aux grésillements, qui risqueraient de mettre la puce à l’oreille au groupe.

Mais par-dessus tout, je dois être plus discrète, car j’ai failli me faire prendre par Père ! Ou peut-être que si j’attends un peu d’amélioration, il y aura moins de risques !


Quoi que…
Attendre trop, je ne pourrai pas le faire. Ils me manqueraient bien trop !
On improvisera ! »


Elle referma son livre en replaçant le buvard, puis elle éteint sa lampe de bureau avant de se diriger vers le tiroir secret. Elle sentait encore l’excitation fourmiller dans ses jambes fines ! Le temps de se baisser, quelqu’un frappa à la porte.

« Midona, ma chérie, il est temps que tu te couches ! Tu as eu une journée éprouvante ! Je croyais qu’en revenant du labo, tu serais déjà dans ton lit ! »

L’interpellée cacha son livre sous sa robe de chambre, en se mordillant les lèvres. Voyant que son père ne bougeait pas, elle répondit d’une voix douce:

« Oui Père, ne t’inquiète pas, je terminais de lire mon livre ! Il était vraiment passionnant, je n’ai pas pu décrocher avant la fin! Je me couche de suite !
-Parfait ! »


Les pas de son père s’éloignèrent, alors qu’elle rangeait le plus silencieusement possible son journal, sous des yeux d’or particulièrement attentifs, mais incapables de la trahir, ceux d’Heilig, sa chatte, sa confidente. Depuis bien longtemps elle recueillait ses pleurs, ses peines, sa solitude, voir sa petite maîtresse aussi heureuse lui arracha quelques ronronnements, tandis que la jeune fille faisait jouer le mécanisme du tiroir secret.
Puis, elle posa la main sur sa joue en montant sur son lit. Rien qu’à repenser à cette caresse, elle sentait son cœur rebondir dans sa poitrine. Elle avait du mal à y croire, et pourtant, elle était persuadée de l’avoir vécu. Certains membres du groupe ne la considéraient déjà plus comme une illusion, et pourtant, ils avaient tous pensé à un moment ou à un autre qu’elle n’était pas réelle. Cette caresse, cette chaleur qui avait parcouru son visage, c’était pareil. Ce n’était pas un mirage, mais elle avait du mal à s’en convaincre.

Parce que c’était eux…
Ses idoles…
Ceux qui devaient lui rester inaccessibles.

 

Chapitre 13

 

Le concert a été un triomphe comme à l’accoutumée. Les jumeaux sont en pleines disputes gémellaires, une fois de plus, encore une histoire à laquelle il vaut mieux ne pas chercher d’explications. Gustav a décidé d’une petite inspection surprise du côté des techniciens, au grand dam de ces derniers qui apprécient fort peu ce genre d’ingérences. Peu lui importe, mais depuis qu’on lui a abîmé sa batterie, c’est surveillance et houspillage de temps en temps, afin de s’assurer que l’on bichonne son cher instrument.

Georg, resté seul dans la loge, observe pensivement le miroir, il songe à Midona, cette étrange apparition. D’ailleurs est-ce bien son vrai nom ? Si on y réfléchit, en italien Midona, cela signifie « Je (suis une) femme », c’est un bien drôle de prénom.

« Il faudra que je l’interroge quand je la reverrai à l’hôtel, d’ailleurs cela doit bien faire deux semaines que je ne l’ai pas revue, je me demande bien pourquoi… »

Quand on parle du loup, il sort du trou. Son reflet se brouille pour laisser place à cette clarté qui précède toujours l’apparition de la jeune femme. Comme la fois précédente, son fin visage émerge légèrement du miroir tandis qu’elle lui sourit :

« Bonsoir !
-Ici aussi !
-Pardon ?
-Je pensais que tu n’apparaissais que dans les miroirs des hôtels !
-Un miroir est un miroir, ils me sont tous accessibles !
-Ah ! Bon !
-Est-ce si étonnant ?
-Avec toi plus rien ne m’étonne !
-Ne crois pas cela, fit-elle en riant. »

Georg la fixe, regarde en l’air, visiblement mal à l’aise, il veut l’interroger, mais hésite sur la meilleure méthode à employer, pour que non seulement elle réponde, mais surtout pour qu’elle dise la vérité.

« Je…
-Ne sois pas gêné, parle !
-Midona : c’est ton vrai nom, demanda-il en lui expliquant sa théorie.
-Oui, c’est vraiment mon nom, répondit-elle amusée.
-Tu sais, j’ai pensé un moment à Ulysse qui s’est fait appeler Nemo (Personne nda) afin de se jouer du Cyclope.
-Je n’ai pas l’esprit aussi retors que celui d’Ulysse, même si je sais manier les mots et puis quel intérêt ?
-Celui de me manipuler !
-Je te l’ai dit et redit, je ne te veux que du bien !
-Tu sais d’où il vient ton nom ?
-Non, je ne me suis jamais posé la question.
-Pourquoi ne le demanderais-tu pas à ta mère.
-Impossible ! Elle n’est plus là !
-Tes parents sont divorcés ?
-Quelle idée ! Ma maman est morte, soupira-t-elle en lançant un regard dubitatif.
-Je suis désolé !
-Tu n’y peux rien.
-C’est arrivé dans quelles circonstances ?
-Une chute de cheval, elle est morte sur le coup. »

Georg fixe longuement Midona, comme pour se faire pardonner d’avoir approfondi le sujet. La jeune fille tourne la tête, laisse frétiller ses paupières qui retiennent les émotions.
Malheureusement, elle se trahit, et quelques larmes apparaissent aux coins de ses yeux. Elle s’empresse de les tamponner avec un mouchoir de dentelle. Un faible grésillement se faire entendre : l’humidité, bon sang, il faut à tout prix l’éviter. Le bassiste, gêné, tente alors d’attirer son attention sur autre chose.

« Et ton papa ?
-Père travaille beaucoup, il est toujours très occupé !
-Tu as des amis au moins ?
-Oui Heilig, ma confidente, ma meilleure amie !
-Tu vas à l’école avec elle ?
-Hi, hi ! C’est ma chatte, Heilig. Je ne vais pas à l’école.
-Pourquoi ?
-Parce que c’est l’école qui vient à moi.
-Tu es spéciale !
-Non, cela se passe comme ça, c’est tout !
-Tu es toujours seule alors ?
-Il y a les domestiques et puis je vous ai, vous !
-Qui vous ?
-Vous : les Tokio Hotel et votre merveilleuse musique qui m’accompagne quand je suis seule, qui sait me réconforter quand je suis triste. Sans vous je ne crois pas que j’aurais tenu le coup ! Pour chacun de mes moments de peine, parmi vos chansons il y a celle qui parlera à mon cœur attristé, qui mettra un peu de bonheur dans mon existence si vide…»

Georg se sent tout ému par cette révélation, et ne peut réprimer le sourire qui étire ses lèvres. Il savait déjà que pour de nombreux fans, leur musique comptait énormément. Mais c’est la première fois qu’on le lui dit de cette façon, avec ce petit plus qui parle à son âme. Il soupire pensivement, puis admire ce visage qui ne craint pas de complimenter son travail. Son cœur se réchauffe, alors qu’il s’imagine être en concert, et l’apercevoir au premier rang, dans la nuée de fans qui se volent les places les plus avancées.

« Tu es déjà venue à l’un de nos concerts ?
-Hélas, je n’ai pas eu cette chance !
-Pourquoi ?
-C’est impossible, répliqua-t-elle sans réfléchir.
-Tu sais, on se rend dans quasiment tous les pays, on est sûrement passé près de chez toi. Tu habites où ?
-En Allemagne !
-On y donne un concert dans deux semaines, veux-tu que je t’envoie un billet.
-Je suis très touchée, mais les circonstances ne me permettent de venir vous voir, fit-elle embarrassée.
-Tu caches quelque chose !?
-Oui et….non.
-Donc tu ne veux pas venir, tu peux être franche ! Je comprends qu’attendre des heures devant une salle de concert ne soit pas des plus agréable, mais…
-Si, mon plus grand rêve serait de vous voir sur scène, j’en rêve depuis des années, depuis que j’ai entendu pour la première fois votre musique, mais c’est impossible.
-Je sais que le concert est « sold out » depuis des mois, mais je te procurerai une entrée VIP.
-C’est physiquement impossible !
-Donc, tu es une apparition, tu es immatérielle et c’est la raison.
-Non, j’existe, je suis vivante, je fais même tout pour un jour, vous voir …
-Plus on parle avec toi, moins c’est clair.
-Tout finira par s’éclaircir, mais j’ai encore besoin de temps.
-Du temps pourquoi ?
-Du temps pour me permettre de changer certaines choses.
-Lesquelles ?
-Je ne peux rien dire, je dois interférer le moins possible.
-Mais…..
-A bientôt. »

A travers le miroir, posant sa main sur ses lèvres, elle lui envoie un semblant de baiser, avant que ne s’estompe la douce clarté signifiant la fin de leur entretien. Il y a de quoi être perplexe, plus cette étrange relation se noue plus les questions et leurs réponses en entraînent d’autres dans une ronde sans fin…sur quoi va-t-elle déboucher, que nous prépare l’avenir ?

 

Chapitre 14

 

Gustav posa le pied sur sa pédale, l’enfonça, et écouta le son grave qui se dégageait de la grosse caisse. Puis, relevant ses manches, il s’empara des baguettes, effectua un roulement sur sa caisse claire, puis tapa fièrement sur une cymbale.

Après vérification, les techniciens avaient bien fait leur travail, et il s’apprêtait à se faire péter un bon solo quand un soupir traversa les murs de la pièce.

Gustav se retourna et remarqua qu’un miroir de la taille d’une porte se cachait dans son dos.
Un petit sourire se prononça sur ses lèvres, et il se mit à taper fièrement sur ses caisses, liant à une vitesse affolante les notes qui se succédaient en un joyeux rythme.

« Tu me fais un petit solo ?
-Comment as-tu trouvé ?
-… »

Il ralentit ses battements, en tournant la tête vers le miroir. Mais il fut tellement étonné de ce qu’il vit que ses baguettes lui échappèrent des mains.

« Oh !
-Quoi ?
-Tu…
-Je ?
-Tu es magnifique ! »

Le batteur ouvrit de grands yeux, se leva de son siège, puis regarda de haut en bas le miroir accroché au mur.
C’était plus qu’un simple visage blanc qui s’offrait à sa vue. Bien au-delà de ce qu’il n’avait jamais contemplé.
Midona se tenait là, debout, dans le miroir, toujours recouvert d’un fond brumeux.
Sa silhouette pâle se détachait du fond comme si on avait posé un drap de soie humide sur son corps.

Au départ dépourvu de ses moyens, il se contenta de l’admirer. Son visage rieur était très typique: deux yeux verts en forme d’amande, quelques mèches de cheveux qui lui parsemaient le front, un long nez fin qui donnait au reste de son visage un air droit et rigoureux.

Mais c’était avant tout la douceur qui émanait de sa splendeur. De longues boucles retombaient sur ses épaules dénudées, puis longeaient son décolleté plongeant. Une robe moulait parfaitement son corps, probablement aidée par un étroit corset lacé dans son dos.
Son bustier rehaussait une poitrine ferme, puis décorait un peu plus bas son ventre d’entrelacs de fils qui accompagnaient les courbes des motifs décoratifs.

Des rebroussements de dentelles pendaient à ses bras, et au bas de son jupon, donnant à la jeune fille une allure élégante et hors du commun !
Ses mains étaient camouflées par des gants, aussi blancs que le reste de son corps, qui lui remontaient sous les manches.

Les paupières de Midona se plissèrent, alors qu’elle répondait d’une petite voix gênée:

« C’est gentil !
-Non mais tu es vraiment ravissante !
-C’est trop…
-Et puis, c’est original.
-Façon de dire que c’est peu fréquent ?
-Oui, c’est exactement ça !
-Ça doit te changer des autres fans que tu vois généralement, habillées en mini-jupes ou pantalons…
-On ne va pas dire le contraire ! »

Il la parcourut du regard, encore une fois, admirant cette merveille qui s’épanouissait sous ses yeux, tout en remarquant cette étrange sensation que celle de sentir son cœur sauter un bond.

« Approche un peu… »

Un peu étonné, Gustav s’exécuta sans broncher.

« Encore un peu… »
Le batteur sentit ses joues rosir, tandis que sa main se colla contre le mur, séparant de la distance d’un bras cette magnifique silhouette blanche de son visage.
« Encore…
-Tu es sûre ? »

Elle acquiesça d’un signe de tête, se mordilla la lèvre inférieure. Gustav déglutit, puis tendit sa joue si près du miroir qu’il pouvait presque sentir le froid du verre l’effleurer.

« Ça, c’est pour ton solo… »

Soudain, il sentit une chaleur entrer en contact avec sa peau. Il sursauta, se recula, puis caressa sa joue.

« Tu… C’est toi qui m’as fait ça ?
-Ça quoi ?
-C’était chaud !
-Ben, je ne suis pas un glaçon non plus ! »

Les doigts du batteur tâtèrent un instant cette joue bien en chair, s’étonnant de cette étrange révélation. Il l’avait touchée, et plus qu’un simple contact entre ses lèvres et sa peau, c’était une véritable bouffée de chaleur qui l’avait envahi.

« Tu es bien réelle alors…
-Il te faut quoi de plus pour t’en convaincre ? »

Le batteur laissa sa main glisser sur la surface du verre, dans laquelle ses phalanges se fondaient presque. Il chercha les doigts de Midona, qui les mêla aux siens dans un geste discret.
A nouveau, il se sentit envahir par une bouffée de chaleur, alors que la blancheur de la peau de la jeune fille contrastait avec la sienne. Au-delà de toutes les impressions qu’il avait eues jusqu’alors en tenant la main à une fille, ces ondes qui le parcouraient lui procuraient un bien fou, même si les doigts qui se fondaient dans le miroir lui semblaient à peine réels.

Tantôt chauds, tantôt plus froids, il y avait des instants où ils semblaient s’effacer dans l’air, d’autres où ils pesaient à travers le miroir comme des pierres.

« Comment tu fais pour venir jusqu’ici ?
- …
-Tu me files entre les doigts comme de la poussière, et pourtant je peux te sentir. Ta chaleur, la douceur de ton gant. Tu es juste devant moi, et pourtant si loin…
-C’est normal que je te paraisse être si loin…
Je ne suis peut-être pas à l’autre bout du monde, mais la distance qui nous sépare est pourtant énorme.
-Et tu es bel et bien là.
-C’est peut-être ça qui m’étonne le plus. Vous n’êtes plus seulement ces images inaccessibles, cette musique qui fait rêver. Je peux vous voir, vous entendre, vous toucher… »

En disant cela, Midona caressa la main de Gustav, qui frissonna. Plongeant ses yeux vert pomme dans les pupilles du blond, elle se mit à sourire.

« Dis, tu me joues un autre solo ? »

Gustav détacha sa main de la jeune fille, sentant l‘épais tissu de sa robe lui effleurer la paume, puis il se retourna vers son instrument. Après s’être installé sur son tabouret, avoir pris ses baguettes et actionné la pédale une ou deux fois pour se sentir à l’aise, il jeta un coup d’œil derrière son épaule.
Les formes de la jeune fille s’estompaient déjà dans le fond du miroir. Le batteur l’interpella à haute voix, mais il était presque trop tard!

« Attends!
-Je suis désolée, mais je dois partir maintenant! On m’appelle ! Si je n’y vais pas, on me verra !
-Tu reviendras ?
-Oui! »

Et elle disparut. Le batteur, un peu attristé, observa la silhouette se fondre dans le mur, puis laisser place à son reflet. Il aurait bien voulu le lui jouer, ce morceau. Mais pourquoi fallait-il qu’elle s’envole en coup de vent? Pour une fois qu’il aurait pu jouer pour quelqu’un d’extérieur à son milieu, mais qui savait se tenir à distance et l’écouter sans lui sauter dessus, il aurait bien aimé au moins essayer…

Il s’est levé, a contourné son instrument. Elle venait de partir, mais il souhaitait déjà qu’elle revienne. Plus que de la curiosité, cette fille réveillait en lui des états d’âmes plus profonds, qui lui venaient du fond du cœur.

Il avait perçu en elle, cette inexplicable différence, ce qui faisait d’elle un être à la fois unique et fascinant. Elle était à la fois proche et lointaine. Matérielle, comme immatérielle selon les moments, mais surtout dotée d’une âme hors du commun, d’une force de caractère qui lui permettait de transcender les interdits, car il avait bien senti qu’elle bravait une autorité supérieure. N’avait-elle pas dû brusquement le quitter, alors qu’elle souhaitait qu’il lui joue un solo. Et cette légère peur qu’il avait entraperçue dans son regard, lorsqu’elle lui avait dit qu’on risquait de la voir. Si elle craignait de se faire surprendre et que malgré cette crainte, elle revenait le voir comme promis, cela sous–entendait qu’elle dompterait ses appréhensions pour lui. Une bien jolie personne et une douce promesse, que souhaiter de plus pour illuminer sa journée ……

 

Chapitre 15

 

«Ah ! Merde, fait chier ! »

Tom, sa guitare dans une main, le lecteur mp3 aux oreilles, venait de s’encoubler sur une chaussure dissimulée par l’ampli qu’il venait d’enjamber. Fort de préserver son cher instrument, il se déporta sur le côté et tomba sur le sofa, cassant une corde au passage. Il éteignit son lecteur, portant toute son attention à la constatation des dégâts.

«C’est pas vrai, en plus c’était ma dernière corde de " la", je ne pouvais pas en casser une autre ? »

Un rire fit écho à sa remarque, rendant un semblant de vie à cette loge si vide jusqu’à l’arrivée en fanfare de Tom. Ce dernier chercha des yeux l’inévitable miroir, pressentant l’oiseau de mauvais augure, qui en hantait, trop souvent à son goût, les profondeurs …
Effectivement, la clarté surnaturelle qui en émanait confirma ses soupçons.

« Encore toi !
-Toujours aussi aimable à ce que je constate !
-Il y a de quoi ! A chaque fois que tu apparais, il m’arrive des misères !
-Hasard !
-Pourtant tu me les annonces !
-Ce n’est pas pour autant que je les provoque.
-Pourquoi tu ne m’as rien dis cette fois ?
-Tu n’aurais rien entendu avec ta musique à fond !
-Pas tout faux !
-Je sais, sourit-elle.
-Tu as toujours réponse à tout, ça m’énerve !
-Pauvre chou, rétorqua-t-elle narquoisement.
-Fous-toi de moi, lança Tom.
-Si peu, si peu…
-Toi, tu ne m’aimes pas !
-Disons que pour être franche, pas vraiment.
-Alors pourquoi me parler ?
- Je veux connaître le vrai Tom, celui qui se cache sous cette apparence de dragueur invétéré. Celui qui par sa musique fait vibrer mon cœur et parle à mon âme. Celui qui sait écouter son jumeau et le soutenir dans les moments les plus difficiles. L’ami sur lequel on peut toujours compter en cas de coups durs. Le garçon merveilleux avec un cœur gros comme ça, qui soulèvera des montagnes quand il aime réellement une personne. C’est ce Tom là qui m’intéresse, c’est lui que je veux aider et non ce faux-semblant que tu nous montes la plupart du temps. »

Pour le coup, ce dernier reste bouche bée, tentant tant bien que mal d’assimiler ce torrent de révélations sur lui-même, qu’il sait être vraies au fond de lui, mais dont il n’a que rarement eu l’occasion de débattre avec qui que ce soit en dehors de sa famille et de son cercle d’amis fort restreint au demeurant. La célébrité entraînant un tri très sélectif à ce niveau.

Une ombre traversa son regard, il commençait à la voir bien autrement. Peut-être comme un danger potentiel, mais surtout comme quelqu’un de bien informé, de trop bien informé. Se saisissant d’une chaise, il se rapprocha du miroir et s’assit, regardant bien en face le charmant visage qui se dessinait à la place de son reflet. Il cherchait probablement une touche d’hypocrisie qui lui aurait permis de démentir des propos si touchants, mais rien d’autre ne lui sautait aux yeux que la sincérité qui émanait des deux pupilles vertes qui le fixaient.

« Je ne sais pas trop quoi dire !
-Désolée de te déstabiliser ainsi, mais je n’ai pas le choix.
-Comment cela ?
-Le temps presse, je dois gagner ta confiance.
-Drôle de méthode !
-Je n’ai pas le choix, je ne peux pas t’approcher autrement.
-Je sais bien que je suis entouré de gardes, mais si vraiment, on peut se donner rendez-vous pour parler.
-Ce n’est pas possible.
-Ne me dis pas que tu as peur que je te saute dessus ?
-Loin de là, fit-elle en riant.
-Tu es plutôt pas mal !
-Ne détourne pas la conversation ! C’est gentil quand même !
-C’est sincère !
-Tu vas me faire rougir !
-Je marque un point !
-Genre dragueur oui, mais cette facette de toi ne m’intéresse pas.
-Dommage !
-Peut-être que si l’on se rencontre, je te monterais le vrai Tom.
-Je ne demanderais pas mieux, mais c’est impossible.
-Pourquoi ?
-C’est compliqué et je ne peux pas t’en dire plus.
-Tu me caches des choses !
-Tout le monde a ses secrets, même toi, n’est pas Tom ?
-Que veux-tu dire ?
-Eh bien, je parle d’une certaine expérience par une belle nuit de juin durant ta seizième année, le soir du six juin pour être précise. »

Tom vira au cramoisi, puis devint d’une pâleur inquiétante. Envahi de sueurs froides, il tremblait légèrement et dans un souffle :

« C.. c… comment est-ce possible ? Bégaya-t-il.
-Je te l’ai dit, je sais beaucoup de choses !
-Personne ne l’a jamais su, même pas Bill.
-Il faut croire que les secrets finissent toujours être révélés !
-Pas celui-ci, c’est trop … il ne faut pas.
-Tu sais…
-Jure-moi, jure-moi de ne jamais rien dire, je t’en supplie!
-Ce n’est pas moi qui révélerai quoique ce soit à qui que ce soit !
-Mais alors qui a parlé ?
-C’est toi-même !
-C’est impossible, jamais je n’en aurais parlé !
-Tu en parleras !
-C’est pas vrai.
-Je ne peux te révéler que ce que j’ai appris et pour que je l’apprenne, il faut bien que cela ait été dit, écrit, filmé ou autres. Je ne lis pas dans les pensées et je n’invente rien.
-Dis-moi exactement d’où tu tiens tes informations !
-Je les tiens de toi, tout simplement.
-Je parle en dormant, je ne dois plus dormir !
-Non, tu ne parles pas en dormant, enfin, je ne crois pas, mais je me ferais un plaisir de venir le constater par moi-même.
-Ah ! Ça non, je veux dormir en paix, tu me fais assez flipper comme ça !
-Dommage !
-Voyeuse !
-Curieuse, sans plus !
-La bonne excuse.
-De toute façon, je n’ai pas besoin de ton autorisation pour venir te voir la nuit, si je le souhaite.
-J’enlèverai tous les miroirs de ma chambre.
-Je trouverai bien un moyen, tu veux parier ?
-Non, le peu que je connais de toi me laisse supposer que tu arriveras à tes fins.
-Tu ne crois pas si bien dire !
-Hélas, j’ai peur de ne jamais retrouver la paix.
-Ne t’inquiète donc pas tant, je ne veux que ton bien.
-Tu connais mon secret, tu es une menace potentielle, si la presse s’en emparait …
-Elle ne le fera pas !
-Tu es en sûre ?
-Certaine ! »

Tom, quelque peu soulagé, retrouva un semblant de sourire suite à cette affirmation. Ses sueurs se figèrent dans son dos au lieu de continuer à couler, même s’il était extrêmement gêné par cette soudaine révélation. Le mystère demeurait entier, comment avait-t-elle su ? Il avait beau faire tout pour la connaitre plus amplement, elle distillait les informations au compte goutte. Ce n‘était pas tant qu’elle mentait ou dissimulait, mais juste qu’elle en disait le strict minimum…

« Tom, appela-t-elle, le tirant de ses pensées.
-Oui ?
-Regarde dans la doublure de ton étui à guitare !
-Pourquoi ?
-Tu verras bien. Je dois partir, on se reverra »

Tandis que le miroir reprenait son aspect habituel, le jeune homme regagna le sofa et se saisit de l’étui appuyé sur l’accoudoir. En l’ouvrant, il remarqua un léger décollement de la doublure, il y glissa précautionneusement deux doigts pour ne pas l’abîmer davantage. Sentant sous ses doigts, la froideur du métal, il s’en saisit et ramena à l’air libre une corde de " la".

 

Chapitre 16

 

Bill se leva difficilement ce soir là. Tout le monde devait l’attendre impatiemment pour commencer le repas, mais il n’avait pas la force de franchir le pas de la porte.
Son corps tout entier respirait la fatigue, la douleur, bien des sentiments qu’il s’efforçait de cacher aux autres membres du groupe, y compris son frère.

Après avoir essuyé une larme avec sa manche, il se dirigea vers la baie vitrée, le regard plongé dans la nuit obscure. Comment leur dire que tout recommençait, qu’il avait peur ?
Comment leur dire qu’il avait déjà trop souffert, qu’il ne voulait pas revivre ce supplice ?

Une goutte salée dévala la joue gauche du chanteur, esquissant une trace rougie sur sa peau fragile. Il ferma les yeux, médita un instant. Il avait encore la force de sourire, de donner l’illusion que cette vie lui convenait. Mais il savait au fond de lui que cette mascarade ne pourrait plus durer.
Il se taisait, mais pour combien de temps encore ? Quand les autres verraient-ils que cette existence mouvementée était trop éprouvante pour lui?

Lorsque Bill décida d’ouvrir à nouveau les paupières, il se trouva face à son reflet. Rien de bien glorieux. Quelques mèches humides devançant des yeux noirs, prolongées par des coulées noires. Il ne pourrait jamais aller manger dans cet état.

Le chanteur passa ses doigts sur sa pomme d’Adam, déglutit douloureusement. Ouvrant la bouche, il laissa un léger son s’échapper de sa gorge.
Il se sentait à nouveau aussi vulnérable qu’il y a quelques semaines…

Il avait l’ambition de continuer, mais c’est comme si une autre force, transcendante à lui-même, l’empêchait de profiter de ses rêves. Bill se recula, s’écroula sur son lit, à bout de souffle. De légers sanglots se mirent à secouer sa poitrine frêle.
Il avait mal, il avait peur, mais il était le seul à le savoir.

Ses doigts fins se glissèrent sur la couette, longeant les draps, puis s’en emparant. Il ramena le couvre-lit sur ses épaules, se mit en boule avant de se remettre à pleurer.

« Bill… »

A l’appel de son nom, l’interpelé ne releva même pas la tête. Au contraire, il l’enfouit plus profondément entre ses genoux. Les yeux grand ouverts, il pouvait voir les larmes couler sur les draps, les tacher d’une touche de tristesse, d’angoisse.

« Les autres t’attendent… »

C’était toujours la même voix fluette et enjouée qui amenait dans la pièce une once d’espoir, voire même de joie. Mais le noiraud n’y prêta guère attention. Il ne sentait que cette souffrance qui lui collait à la peau. Dans sa tête, il peignait à nouveau le décor noir de sa vie: une toile gorgée de solitude, d’inquiétude. Dans ce tableau, les éclaircies étaient éphémères, les sourires rares. Le soleil était toujours voilé par les nuages qui dominaient le ciel.

« Bill! »

Cet appel le tira de ses pensées, et il se réveilla.

« Quoi ?
-Tu devrais arrêter de pleurer tu sais.
-Pourquoi ?
-Parce que ça ne sert pas à grand-chose. »

Le brun releva la tête, contempla le visage blanc qui avait pris l’habitude de se loger dans les miroirs de ses chambres d’hôtel.

« Moi, je trouve que ça soulage.
-Tu devrais en parler tu sais. »

Bill leva un sourcil en direction de la jeune fille, en se disant que quelque chose clochait.

« Parler de quoi ?
-Tu le sais bien !
-… Mais!! »

Midona déposa une main sur son cou, le massa d’un geste exagéré pour que le chanteur comprenne le message qu’elle voulait lui faire passer.

« Comment tu sais ? »

Comme seule réponse, l’esquisse de visage haussa les épaules.

« Je le sais, c’est tout !
-…
-Tu devrais au moins le dire à Tom !
-Il ne comprendra pas.
-Je pense que si ! Et puis, il est temps que tu réagisses… Tu te souviens de ce qui s’est passé la dernière fois n’est-ce pas ?
-Oui.
-Je suis sûre que les autres se soucieront de toi, mais tu ne dois pas attendre que la situation empire ! Sinon, il sera trop tard ! »

Bill hocha la tête, mais ses idées divergeaient. Il était hors de question que le même cinéma recommence. Il se souvenait parfaitement de la déception du groupe la dernière fois que ça lui était arrivé.

« Bill! Dépêche-toi !!
-J’arrive ! »

Il contempla la porte, puis le miroir. Le visage avait déjà disparu. Secouant la tête de gauche à droite, il reporta son attention sur son reflet. Midona était bel et bien partie !
Était-ce l’arrivée de Tom qui l’avait effrayée ? Ou était-il juste victime de son imagination débordante. Certes, Bill avait souhaité depuis plusieurs jours la revoir, pour qu’elle le conseille, pour qu’elle le guide. Il avait mal, beaucoup trop mal…

Le chanteur ramena ses doigts sur sa gorge, qu’il massa en grimaçant. Il sentait la salive lui brûler les amygdales. Ses ganglions recommençaient à gonfler…

Le rythme d’enfer imposé par la production, depuis leur grand retour, avait de nouveau raison de sa santé. Les médecins lui avaient donné le feu vert pour reprendre la tournée, mais à condition de ménager sa voix. Il le savait, mais l’amour de la musique et du chant était plus fort que tout. Sur scène, il se donnait à fond, partageant tout avec son public, au détriment de sa santé, faisant fi des cris d’alarmes de son corps épuisé.

Cette fois la coupe était pleine et sa voix le lâchait ! Qu’il le veuille ou non, il lui fallait du repos. Mais comment dire aux autres qu’il allait encore falloir annuler des concerts ? Comment leur faire accepter qu’il allait mal, qu’il avait peur pour sa voix, qu’il se sentait vulnérable ? La nuit serait longue, pleine de déceptions et de négociations, de crises en tous genres…

Rien qu’à y penser, Bill sentit à nouveau les larmes lui monter aux yeux.

« Bill, on t’attend !
-Tom, je dois vous parler… »

 

Chapitre 17

 

Midona, assise sur son lit, caressait pensivement Heilig, laissant filer le long pelage entre ses doigts fins et gracieux. La chatte ronronnait de bonheur, regardant de ses grands yeux dorés sa petite maîtresse qu’elle sentait fort préoccupée. Sa douce fourrure noire se hérissait sous les tendres caresses, ses ronronnements s’intensifiaient, apaisant la jeune femme.

Elle laissa courir son regard dans sa chambre, s’attardant sur sa table de chevet ornée d’un cadre contenant son trésor : une photo de ses quatre chouchous, ses chers Tokio Hotel…

Un profond soupir s’échappa de ses lèvres, tandis qu’elle se levait et posait ses doigts sur la photo, comme pour mieux s’en imprégner. Un petit rituel qu’elle effectuait régulièrement comme pour se rassurer. Midona, ensuite, traversa sa chambre et regagna son grand bureau d’ébène, comme elle le faisait après chaque série de contacts.

Se penchant, elle fit jouer le mécanisme du tiroir secret, en sortit son précieux journal qu’elle déposa sur son sous-main, tout en l’ouvrant au niveau du marque page de cuir ouvragé : un dragon sculpté dans le cuir, dont les fines écailles étaient délicatement incrustées d’or, et les yeux d’émeraude. Le dernier cadeau reçu de sa chère maman ….

D’un geste sûr, elle trempa sa plume dans l’encrier, les volutes de sa belle écriture commencèrent à couvrir les pages de son journal, décrivant les derniers événements pour déboucher sur le résultat des quatre dernières rencontres.

« TH für immer

-Rapport contact 3:

Le temps s’amenuise tel une peau de chagrin, j’ai si peur.

Je ne dois pas trop m’attacher, cela ne se peut pas, cela ne doit pas, mais je les aime tellement. Ce sont eux, ou plutôt leur merveilleuse musique qui m’a empêchée de sombrer à la mort tragique de Maman. Je leur dois la vie, je pense que sans eux, je me serai laissé mourir de chagrin.

Elle me manque tant : la douceur de sa peau, le réconfort de ses bras, la tendresse dans ses paroles lorsqu’elle me réconfortait. Comment vivre ou plutôt survivre sans l’amour et le soutien d’une mère ? Rien ne la remplacera jamais dans mon cœur meurtri. Pourquoi m’a-t-elle abandonnée ? Pourquoi a-t-il fallu que ce maudit cheval se cabre ? Pourquoi si jeune ? Elle avait toute la vie devant elle, ma tendre maman.

Tant de "Pourquoi" et si peu de réponses : le destin ? La "faute à pas chance" ? Je n’ai pas accepté et je crois que je n’accepterai jamais l’injustice de la mort, de sa mort. Elle, je n’ai pas pu la sauver. Toutes les nuits, quand j’essaie de trouver le sommeil, je me remémore les faits : je vois le cheval se cabrer, maman tomber et se faire piétiner. J’aurais dû intervenir, le calmer, le retenir, enfin faire quelque chose, mais je suis restée paralysée. Elle se faisait tuer et je n’ai rien fait pour la sauver, je m’en veux tellement et je m’en voudrai toujours….si seulement…

Je ne commettrai pas deux fois la même erreur : eux je les sauverai, quoiqu’il doive m’en coûter !

Plus je leur parle, plus je m’y attache, je sais que je ne devrais pas, mais c’est plus fort que moi. J’ai besoin d’aimer et d’être aimée, n’est-ce pas le propre de toute créature vivante ?

Passons tout même aux choses sérieuses, je me laisse aller à mes émotions et je néglige mon rapport !

Finalement, Tom s’avère quand même sensible quand on le pousse dans ses derniers retranchements, il veut se donner une image de dur et de séducteur, mais il est gentil et timide et capable de s’intéresser aux autres. C’est dommage que ce secret pèse tant sur son cœur, s’il en parlait à son frère, chacun verrait l’autre différemment et cela restaurerait ce lien si spécial entre jumeaux qui va en s’amenuisant …

Quant à Bill, je l’ai convaincu de parler aux autres et c’est tant mieux. Il doit arrêter de tout prendre sur lui et de souffrir en silence dans son coin, il se détruit tout seul. Il faut qu’il apprenne à donner sa confiance, je sais que la trahison qu’il a subie l’a marqué à tout jamais, mais il y a prescription depuis le temps. Comment pourrait-il me faire confiance, s’il doute toujours de tout et de tout le monde ? Il a peur de la réaction des autres, mais je sais qu’ils le soutiendront jusqu’au bout, il peut avoir confiance en eux comme en moi !

Georg est si attentionné, cela faisait bien longtemps que personne ne s’était soucié de savoir si j’étais heureuse ou non ? Si la solitude me pesait ? C’est tellement adorable de sa part de me proposer un billet pour les voir en concert, mon rêve le plus fou, à portée de la main et si loin en même temps…

Le solo de Gustav : un moment magique, intemporel, inoubliable. Quand je pense qu’il a joué juste pour moi, je ne l’oublierai jamais. Ce contact entre nous quand je l’ai embrassé, la chaleur de sa joue, la douceur de sa peau sous mes lèvres, pouvoir sentir cela à travers le miroir, c’est prodigieux. Je ne pensais pas à pareille perfection, ce système tient du génie pur …

- Prévisionnel:

Leur montrer ou plutôt les guider afin qu’ils prennent la bonne décision et échappent à leur destin. Sans qu’ils puissent se douter d’où je tiens mes connaissances et qui je suis vraiment. Ils ne l’accepteraient pas forcément et les risques d’ingérences sont énormes. Il va falloir jouer très subtilement, c’est comme dans une partie d’échec, d’abord placer les pièces maîtresses aux endroits stratégiques et attaquer tout en couvrant ses arrières.

Il faut que je fasse très attention à Père, il a failli me surprendre et si cela arrivait, il ne me laisserait plus le champ libre. Si je n’ai plus accès au système, comment ferais-je pour tenter de les sauver ? Cela tient à tellement peu …Juste une chose à ne pas faire, elle peut paraître si insignifiante, mais elle est tellement cruciale… »

 

Chapitre 18

 

Gustav jeta un regard pensif vers le miroir en face de lui, mais se retrouva vite déçu de n’y apercevoir que son reflet. Depuis le soir où il devait lui jouer un solo et où elle était partie sans prévenir, il constatait en lui un manque permanent qui ne cessait de s’agrandir au fil des jours, plus longs les uns que les autres.

Le batteur observa son visage triste, retraça de son index droit les courbures de son nez. Il se souvenait de cette chaleur humaine, diffusée à travers le miroir comme si elle était en face de lui. Il se souvenait de la douceur de sa peau pâle. Même un doux arôme lui emplissait les narines quand il repensait à cette soirée déjà si lointaine dans son esprit.

Après un soupir, le blondinet se dirigea vers son lit, referma la valise. Sept hôtels qu’ils faisaient. A chaque fois, il y avait des miroirs. Chaque jour, son enthousiasme à l’idée de la revoir grandissait, avant de l’abandonner sur des désillusions douloureuses. Midona semblait ne plus vouloir pointer le bout de son nez. Mais pourtant, elle lui avait promis de revenir…

Rien que ça lui redonnait l’espoir de la retrouver le lendemain.
Il ferma sa valise, posa à nouveau ses pupilles marron sur le miroir. Il n’y avait toujours que lui, et le décor de la chambre. Aucune teinte blanchâtre un peu inhabituelle, aucun rire espiègle et amusé.
Seulement lui, sa conscience, et les nombreuses questions qui en découlaient.

===============================================================================

Gustav s’assit dans le fond de l’ascenseur, exténué. Le concert de ce soir avait été phénoménal, même s’il avait remarqué que Bill semblait forcer sa voix sur les dernières chansons. Ce n’était pas la première fois que cela lui arrivait, mais avec la thérapie qu’il suivait, les risques de se retrouver dans la même situation que lors de la précédente tournée étaient minimes.

L’ascenseur s’arrêta, les portes s’ouvrirent. A cette heure-ci, plus personne ne circulait dans les couloirs. On ne lui arracherait pas facilement ce petit moment de solitude dont il se délectait. Les portes se refermèrent, mais la cage ne bougea pas.

Le batteur resta là un instant, à écouter le silence, les battements de son cœur. Il sentait dans ses muscles crispés les efforts fournis pendant le concert, il répétait inconsciemment les roulements qu’il aimait faire sur ses caisses…

Dans ses oreilles, il pouvait encore entendre l’écho des cris des fans qui hurlaient leurs noms.

Tirant la tête en arrière, il ferma les yeux et déglutit, s’abandonnant à des rêves éveillés. Il se voyait monter sur les devants de la scène, susciter l’admiration de toutes ces filles qui focalisaient leur regard sur lui. Il revivait toutes ces émotions; une fois les baguettes livrées au public, il les voyait se fondre dans la masse pour disparaître entre les doigts d’une inconnue.

Sa main se tendit vers la foule, prête à la remercier, quand soudain, une chaleur intense se mêla à ses doigts froids. Il la tâta un instant, avant d’ouvrir les yeux. Ses pupilles rencontrèrent deux éclats vert pomme qui flottaient dans une intense clarté blanche.

« Mid…? »

Un index se posa sur ses lèvres. Il obéit à ce geste sans broncher, admirant la silhouette de la fille qui se présentait devant lui. Il avait déjà pensé la rencontrer dans beaucoup d’endroits, mais là, cela sortait tellement du commun qu’il n’avait même pas remarqué la présence des miroirs dans l’ascenseur !

Ce qui était le plus impressionnant, c’était qu’elle sortait presque entièrement de la surface dont elle avait rarement osé se détacher auparavant, étalant autour d’elle une faible aura blanche.

« Tu… tu sors des miroirs ?
-Presque !
-Tu es bel et bien réelle alors ? »

Elle sourit tendrement. Gustav pouvait sentir le souffle chaud de la jeune fille caresser ses joues, la douceur de ses doigts faire fondre sa main.

« Oui ! »

Sans vraiment prêter attention à ses gestes, le blondinet posa sa deuxième main sur la joue de Midona. Leurs yeux se fixèrent longuement, alors que le cœur de Gustav sembla sauter un bond. Lentement, il approcha son visage de la fille qui l’avait toujours fasciné. Seulement, aujourd’hui, l’admiration était différente. Alors qu’avant, elle lui semblait intéressante d’un point de vue scientifique, aujourd’hui, il se sentait inexplicablement attiré par elle.

Sans réfléchir à ce qu’il faisait, il posa ses lèvres sur celles de Midona qui se recula farouchement.

« Gustav !
-Quoi ?
-Pourquoi tu fais ça ? »

Il y avait une touche de tristesse dans le ton de la jeune fille, et le batteur remarqua qu’une larme perlait au coin de ses yeux. Etonné, il l’essuya d’un geste tendre.

« Je suis heureux de te voir…
-Tu ne peux pas faire ça !
-Mais pourquoi ? »

Il écarta quelques mèches du front de son interlocutrice.

« On ne peut pas s’attacher, c’est trop dangereux.
- Mais tu me plais.
-C’est trop dangereux !
-Si c’est de la presse que tu as peur…
-Non ! C’est trop dangereux, c’est tout! »

Elle détourna le regard, fuyant celui du batteur pensif.

« Et puis, je ne suis pas venue pour ça !
-Tu es venue pour quoi alors ?
-David va vous faire une proposition prochainement…Je ne peux pas te dire grand-chose à ce sujet, je n’en sais pas beaucoup. Mais je suis venue pour te supplier de la refuser ! »

Le blondinet haussa les sourcils, avant de resserrer sa main autour de celle de Midona.

« Et…
-Tu le feras hein ? Tu refuseras ? Tu feras ça pour moi ?
-Heu…
-Je t’en supplie. Fais-le !
-J’y réfléchirai. »

Déjà, la pâle lueur blanche semblait perdre de sa clarté. Midona se recula, ôtant sa main de l’étreinte de son idole.

« Tu pars déjà ?
-Je n’ai pas le choix! Je dois faire vite !
-Attends ! »

L’interpellée essuya une larme avant de se fondre dans le miroir, faisant d’elle non plus un hologramme, mais bien une image plate et indistincte…

« Tu reviendras ?
-Cette fois-ci, je ne peux rien te promettre. C’est de toi que tout dépend! »

Lentement, la clarté s’affaiblit pour reprendre une teinte habituelle. Le batteur se leva d’un bond, lança son poing dans le miroir.

« Pourquoi il faut que tu disparaisses à chaque fois ? »

Il pinça ses lèvres pour compenser sa douleur, puis laissa ses doigts rouler sur sa paume. Il remarqua alors la présence d’un petit objet dans le creux de sa main: une bague argentée, ornée de petites inscriptions qu’il ne parvenait malheureusement pas à déchiffrer.

C’est avec un déchirement au cœur que Gustav ouvrit les portes de l’ascenseur permettant de s’engager dans le couloir. Tout cela lui semblait si étrange. Cette demande tombée à l’improviste qui semblait n’avoir aucun sens, mais devait cependant avoir toute son importance…
Cette bague, apparue dans sa main comme pour qu’il puisse se souvenir de la joie liée à toutes ces apparitions…
Et surtout, cette larme, qui faisait éclater au grand jour la douleur de cette absence omniprésente…

« Cette fois-ci, je ne peux rien te promettre. C’est de toi que tout dépend! » Il entendait encore ses mots résonner, comme un avertissement, comme une menace peut-être, mais surtout comme une sorte d’adieu ….

Il enfila songeusement l’anneau à la chaînette qu’il portait autour de son cou. Peut-être qu’un jour….

 

Chapitre 19

 

Bill se reposait dans sa loge, les yeux mi-clos, allongé sur un divan. Le concert venait de se terminer en apothéose; il était épuisé. Malgré sa rééducation vocale, ses échauffements quotidiens avant de chanter pour ménager son semblant d’instrument, il savait qu’il en faisait trop. Sur scène, sans même s’en rendre compte, il se donnait à fond, pour ses fans, pour lui-même, pour l’amour de la musique. Après il le payait lourdement, mais c’était plus fort que lui. Il avait ce besoin de donner au monde, besoin de rendre aux gens tout ce qu’il recevait d’eux.

Heureusement, il savait qu’il pouvait compter sur le soutien de son cher jumeau. Sous l’impulsion de Midona, il lui avait tout avoué: ses craintes, ses douleurs récurrentes. Contrairement à ce qu’il avait pensé, il n’avait endossé ni crises, ni reproches. Juste de la compréhension, du soutien. Ce merveilleux lien entre jumeaux, si fort, avait une fois de plus fait ses preuves. Tom sentait que Bill allait mal, mais il avait attendu que ce dernier veuille se confier. D’un simple regard, d’un geste affectueux, il l’avait réconforté et assuré de son soutien. Point n’est besoin de mot quand on écoute avec son cœur.

Soudain, son attention fut attirée par une lueur opalescente, de plus en plus vive, qui illuminait la pénombre. Il se redressa, se frottant les yeux, encore un peu vaseux. Il errait entre rêve et réalité, mais la persistance du phénomène acheva de le réveiller.

Dans le grand miroir mural, la silhouette de Midona était entièrement visible. D’habitude, il ne voyait que son visage. Il détailla la fine et gracieuse silhouette qui devait mesurer, à vue de nez, près d’1m70. De longs cheveux ondulés contrastaient avec la surface lisse du fond du miroir. Un bustier soulignait d’harmonieuses courbes, une longue jupe ornée de dentelle et de perles achevait de compléter cette charmante vision. Elle soutenait son regard noisette, sans mot dire, de son visage éclairé d’un lumineux sourire. Aucun des deux n’osait rompre le charme de ce moment suspendu dans le temps. Finalement, Bill prit la parole :

« Comment puis-je te remercier ?
-Pourquoi ?
-Ton conseil, la dernière fois, j’avais si peur que Tom ne le prenne mal …
-Oh, ça? Mais ce n’est rien, ça m’a fait plaisir de t’aider.
-Si tu savais, j’appréhendais tellement …
-Alors, il chante mieux que ce que tu pensais ?
-Comment sais-tu ???
-Qu’il chante avec toi, afin que tu puisses ménager ta voix ?
-Oui, personne ne l’a remarqué.
-Admets que vous avez tout fait pour que ce soit le cas !
-Justement !
-Disons que je sais beaucoup de choses…
-Même les secrets de jumeaux, interrogea Bill d’un ton intrigué.
-Certains seulement, fit-elle amusée.
-Dois-je m’en inquiéter ?
-T’ai-je déjà trahi ?
-Non, mais…
-Alors, fais-moi confiance ! »

La jeune fille cilla et détourna légèrement le regard, trahissant un certain malaise. Il lui fallait aborder le cœur du problème et faire preuve de diplomatie et de conviction, tout en dissimulant les termes exacts dudit problème. Nerveusement, elle tortilla une mèche de cheveux, puis prenant une grande inspiration :

« Bill, tu as confiance en moi ?
-Oui, enfin je crois …
-Alors écoute bien ce que je vais te dire, ne me pose aucune question et suis mes conseils, il y va de ton avenir : David va venir te faire une proposition te concernant, elle sera fort alléchante et semblera la solution à tous tes problèmes. Tu vas penser que je ne veux que ton malheur, que cela te perdra, mais je t’en supplie, au nom de ce que j’ai de plus cher : Refuse.
-Je…. »

D’un geste, elle lui intima l’ordre de se taire.

« Tu penseras manquer l’opportunité de ta vie, peut-être même que tous t’en voudront, mais je ne te le demanderais pas si ce n’était pas vital. Crois-moi. Aie confiance.
-Comment saurai-je ce que je dois refuser ?
-Tu comprendras lorsque tu l’entendras !
-Mais si….
-Aie confiance ! Je suis à tes côtés. Je t’aime tellement, je ne souhaite que ton bonheur futur, quoiqu’il puisse m’en coûter présentement. »

Midona s’avança et sembla presque sortir entièrement du miroir, non sans qu’une ombre n’assombrisse son beau visage. Elle savait que c’était risqué, qu’elle ne devait pas couper le lien …

Sous l’emprise d’une soudaine impulsion, elle passa doucement sa main sur la joue veloutée du chanteur. Elle en sentit la douceur de pêche, tandis que ses narines percevaient les effluves du parfum de son idole.

Usant de l’extrême limite du système, surmontant ses craintes, Midona se nicha dans le creux des bras du jeune homme, posant sa joue sur sa poitrine. Elle leva la tête, ses yeux verts illuminés d’avoir réussi pareil contact. Il trembla légèrement à son contact, mais finalement la serra délicatement, étonné de sentir sous ses mains une chaire tendre, douce et chaude et non la froideur qu’aurait laissé supposer son corps entouré de cette fantomatique lueur blanchâtre.

La force de volonté et le courage de la jeune fille lui avaient permis de franchir une limite, chose qu’elle n’aurait pas crue possible, que personne ne croirait possible d’ailleurs…

Serrer dans ses bras celui qui avait le cœur en peine : un simple contact, mais si riche en émotions …

 

Chapitre 20


Tom fut tiré d’un cauchemar cette nuit là. Il se réveilla en sursaut, mêlant encore ses rêves étranges à la réalité.
Lorsqu’il décolla ses couettes de son torse, il se rendit compte que la sueur humidifiait son ventre imberbe. Elle remontait en coulées chaudes dans son cou, ce qui n’accentuait guère la terreur qu’il avait eue pendant son périple imaginaire.

Combien de fois n’avait-il pas vécu ce genre de mésaventure, lorsque Morphée, capricieux, lui jouait des tours?
Tom se redressa, inquiet, puis regarda autour de lui. Une pâle lueur traversait les rideaux fins, qui le coupaient du ciel étoilé.

Se redressant lentement, étendant ses bras autour de lui pour s’étirer, il jeta un œil vers le miroir, situé sur le mur en face, au dessus d’une petite table abondamment décorée d’objets en tous genres: une bonbonnière, une statuette, un flacon en cristal, un vase, une plante gaiement fleurie, mais dont les couleurs ne faisaient que noircir l’obscurité de la pièce.

D’un pas lourd, le guitariste se leva, posa un pied à terre, en enfouissant son visage dans ses mains moites. Cela faisait longtemps qu’il ne s’était pas senti si mal. Et il avait un mauvais pressentiment.

Se relevant lentement, il laissa ses pieds nus et chauds glisser sur le parquet froid, pour rejoindre l’autre côté de la pièce. S’installant devant le miroir, il attendit. La dernière fois qu’il s’était senti si mal, elle était revenue, elle, et elle lui avait mis le doigt sur ses erreurs, ses hontes, ses angoisses. Celles qu’il essayait à tout prix de garder pour lui, et lui seul.

Tom lança un long soupir, suivi d’un silence de mort. Il n’aurait su dire pourquoi l’atmosphère était si pesante à ce moment là. Il ne pouvait que constater la lourdeur de l’air qui l’oppressait. Levant la tête vers le miroir, il y contempla son reflet. Ses traits étaient marqués par l’inquiétude et la fatigue. Il avait tellement peur pour son frère. Tellement…

Chanter à sa place ne lui serait pas d’un grand secours s’il refusait obstinément de prendre le temps de se soigner. Il cèderait un jour ou l’autre. Peut-être demain, peut-être dans un mois, ou trois. Peut-être tiendrait-il encore un an. Mais il finirait par céder.

Et c’est ce qui l’inquiétait le plus en ce moment. Il sentait son frère distant. Il refoulait sa peur, lui aussi. Tom aurait tellement voulu l’aider… Mais il y avait aussi la peur de porter atteinte à son homologue. Lui dire qu’il était faible, le forcer à arrêter de chanter, peut-être que ça le rendrait plus malheureux encore que de souffrir pour apporter ce succès qui le faisait vivre, respirer, espérer.

Le regard plongé dans les yeux de son image, il contemplait ses pupilles désespérées. Il surprit même une larme sur le coin de son œil. L’essuyant du revers de la main, il sentit une douce chaleur se mêler à ses doigts crispés.

« Tom… »

La voix était tellement plus douce que ce qu’il connaissait. D’habitude plus espiègle ou arrogante, elle l’avait laissé sur une mauvaise impression, surtout après les dernières révélations qui avaient été faites à son sujet.
Mais là, c’était différent. Plus que réconfortante, la voix était même aussi apaisante que celle de son frère, quand il essayait de le consoler, de calmer ses moments de peine.

« Tu es revenue…
- Il le fallait !
-Pourquoi est-ce que tu me fais tout ça ?
-Je ne viens pas dans l’intention de te porter malheur, tu sais. Aujourd’hui, j’ai une autre tâche à accomplir. »

Tom releva les yeux, et aperçut la brillante clarté qui se répercutait dans toute la pièce. Les yeux verts de Midona rayonnaient comme deux émeraudes perçantes au milieu du décor sombre.

« Tu en sais tellement…
-Je ne sais que ce que tu avoues.
-Non. Tu en sais beaucoup plus !
-Peut-être qu’à tes yeux, oui. Mais aux miens, je n’ai pas beaucoup plus de chances que toutes ces autres fans pour obtenir des informations sur vous. Je dois chercher à gauche à droite, trier les vérités des mensonges… »

Tom laissa la douce main lui caresser le visage, savourant cette délicatesse qu’il n’avait jamais trouvée que dans les doigts fins des femmes. C’était pour ça qu’il les aimait tant. Pour leur instinct maternel, qui l’aidait à oublier à quel point sa mère, à lui, lui manquait.

S’assoupissant presque sous les caresses, il soupira de bien-être, oubliant un instant toutes les inquiétudes de la vie.

« Tom. Tu m’as apporté beaucoup tu sais.
-Je suis heureux que notre musique puisse te faire du bien.
-Votre musique fait plus que cela, elle redonne de l’espoir, elle est cette lueur au fond du tunnel qui nous permet d‘avancer en sachant qu’un jour la lumière reviendra dans nos vies, après les épreuves. Je pense que tu es loin de te rendre compte de la portée réelle de votre musique, elle est plus que de la musique, elle est, pour beaucoup, une raison de vivre, de survivre dans un monde auquel ils ne sont pas suffisamment préparés. Sans vous beaucoup n’auraient pas survécu, sans vous beaucoup ne survivent plus……..»

Le regard de Midona s’illuminait, tandis que les mots coulaient de ses lèvres. Tom, fasciné, l’observait tandis qu’elle parlait, commençant seulement à appréhender la portée réelle de leur musique…..

« Je ne pensais….
-J’aimerais te rendre la pareille.
-Si tous les fans voulaient nous rendre la pareille… »

Posant un doigt sur les lèvres du dreadeux, elle le fit taire, d’un geste tendre qui en était même affectueux. Elle seule devait savoir que derrière tous les mauvais coups dont il l’accusait, elle ne pouvait s’empêcher de lui porter beaucoup d’admiration. L’air de rien, elle s’était attachée à eux.

« Tu sais Tom, vous m’avez sauvé la vie, plus d’une fois. J’ai eu beaucoup de hauts et de bas, mais surtout des bas. C’est grâce à vous que je m’en suis sortie. Perdre sa mère, c’est l’épreuve la plus difficile que je n’ai jamais eu à traverser. Si j’ai vaincu ma peine, c’est grâce à vous. Alors, laisse-moi te sourire… »

Le guitariste redressa le menton, avant de contempler le sourire qui se profilait sur le visage de Midona.

« J’ai l’impression qu’à te voir, nous nous disons adieu.
-C’est peut-être le cas, Tom.
-C’est dommage, je commençais à te supporter ! »

La jeune fille étira un sourire plus large, gracieusement mis en valeur par ses yeux qui s’humidifiaient. Pris de compassion, le dreadeux lui rendit un regard plein de remerciements.

« Si à l’avenir, David te propose de réaliser ton rêve, refuse. »

Etonné, Tom interrogea son interlocutrice d’un air plutôt sceptique.

« Comment pourrais-je refuser de réaliser mon rêve ?
-Il nous faut toujours une raison de vivre. Si tu satisfais toutes tes envies tout de suite, tu sombreras. Ne plus avoir envie de rien est un calvaire qui ne doit pas vous arriver. Alors, ce jour là, refuse. »

Le guitariste ne comprit pas vraiment la raison de ce conseil, mais il acquiesça tout de même d’un geste affirmatif. Un geste qui apaisa Midona, puisque son visage soulagé commença aussitôt à s’estomper, laissant Tom sur une nouvelle énigme: aujourd’hui, il ne lui était rien arrivé. Et pourtant, elle lui avait prédit quelque chose. Devait-il en tenir compte ? Ou pouvait-il l’oublier sous prétexte que les tensions entre eux avaient fini par se calmer ?

Seul l’avenir le lui dirait…

 

Chapitre 21

 

Georg tournait en rond au sens propre, comme au figuré d’ailleurs. Depuis quelques temps une angoisse sourde l’étreignait. Elle se manifestait surtout durant les concerts, particulièrement depuis qu’il avait cru surprendre Tom soutenir très discrètement Bill vocalement. Plus il les observait, plus il remarquait les coups d’œil de Bill en direction de Tom et quelques secondes après, la voix de Tom se mariant à celle de son double, allant jusqu’à la remplacer totalement en quelques occasions. Il avait songé à leur en parler, mais près réflexion, il avait préféré s’abstenir, les laissant croire que leur subterfuge passait inaperçu.

Mettant bout à bout les indices qu’il possédait, il en déduisit que les longues soirées où les jumeaux s’étaient enfermés au studio prétextant la composition de nouvelles chansons avaient en réalité servi à l’apprentissage de Tom. D’un chanteur médiocre, il était maintenant capable non seulement de soutenir son frère, mais aussi de le remplacer avec les mêmes intonations, les mêmes fluctuations, malgré une voix à l’origine plus basse. Ils avaient accompli un sacré travail et réussi à en garder le secret, sauf pour lui et peut-être Midona.

Elle sait tellement de choses sur nous, que c’est à se demander si elle n’en saurait pas plus sur nous que nous-mêmes…

Comme pour répondre à ses pensées, elle jugea opportun de rendre une ultime visite à Georg, ce soir là. Elle choisit pour cela le plus grand miroir de la chambre, qui s’illumina de cette indéfinissable lueur qui précédait chacune de ses apparitions et sous les yeux éberlués de Georg, elle choisit de franchir le miroir pour lui apparaître en chair en os, ne gardant que le lien minimal nécessaire au système. Dans un joli froufrou de dentelles, accompagné des doux cliquetis de ses bracelets d’argent, elle lui lança un bonsoir enjoué accompagné d’un sourire à damner un saint.

« Tu es resplendissante !
-Merci c’est gentil !
-Mais, dis-moi tu es en dehors du miroir ?
-Pas tout à fait, je lui suis toujours liée »

Se déplaçant de quelques pas, pour être non plus en face d’elle, mais de côté, il remarqua, qu’entre son corps et le miroir, l’air était comme brouillé, une espèce d’opacité qui occupait l’espace la reliant indubitablement au miroir….enfin est-ce bien au miroir qu’elle est reliée ou à autre chose, songea-t-il, tandis que sa main se tendait en direction de cette indéfinissable phénomène …

« Non !
-Non quoi ?
-N’essaye surtout pas d’y toucher ?
-Pourquoi ?
-Tu pourrais causer des dégâts irrémédiables.
-Comment ?
-Je ne sais pas et ne m’en demande pas plus, je fais, par amour pour vous, quelque chose que je n’aurais jamais dû faire et je ne tiens pas y laisser ma vie, ni à risquer la tienne, si tant est qu’il reste quelque que chose à sauver.
-Hein ?
-Je ne peux rien te dire de plus.
-Tu n’as pas grand-chose à envier à une Sybille.
-Oh, que si, je leur envie leur semblant d’ignorance…
-Comment cela ?
-Une Sybille livre, par énigme, les parcelles de vérité qui sont en sa possession.
-Et alors ?
-Je possède la vérité au complet et je n’ai le droit d’en livrer que des parcelles, c’est bien plus difficile à tous points de vue.
-Dis-moi tout !
-Si au moins je le pouvais sans risques, soupira-t-elle »

Cédant à une impulsion, elle leva une main fine et délicate aux ongles joliment manucurés vers Georg, lissant une mèche de cheveux rebelles et la lui glissant derrière l’oreille avant qu’il ne le fît lui-même. Leurs regards se croisèrent et se soudèrent l’un à l’autre, échangeant une conversation muette que seules deux âmes perdues seraient à même de comprendre, deux êtres qui se réconfortent mutuellement sans paroles, car elles ne sont pas toujours la meilleure façon de s’exprimer, il y a tellement plus que les mots…Sans la quitter les yeux, il se saisit de la douce main et y déposa un baiser dans le creux, scellant ce pacte de soutien mutuel…

« Tu sais pour Bill et Tom, interrogea Georg, la question résonnant plus comme une affirmation.
-Oui, bien sûr !
-Je suis inquiet !
-Ils font tout pour le cacher, ils ne veulent inquiéter personne !
-Pour les autres c’est une réussite, mais j’ai quand même compris qu’il y a un problème.
-Ce n‘est pas à moi de te révéler les secrets des jumeaux !
-Je vois, alors disons que tu ne trahiras personne si c’est moi qui parle et que tu te contentes de confirmer ?
-Ça me convient parfaitement !
-Peux-tu fermer les yeux si j’ai raison ?
-Je ferai ainsi ! »

Georg entame un monologue ponctué par les clignements des yeux d’émeraude de son vis-à-vis.

« Bill a un problème avec sa voix ! Oui, lui confirme Midona, occultant ses iris.
-Tom le sait et chante à sa place ! Oui.
-David est au courant ! Oui.
-Bill a peur que s’il avoue, on l‘empêche de chanter ! Oui.
-Il sait qu’il risque de tout perdre en continuant ! Oui.
-Il connaît la cause du problème ! Non.
-Peux-tu l’aider ? »

Midona lui lança un regard empreint d’une indéfinissable tristesse.

« J’aimerais tant pouvoir l’aider, pour vous j’ai déjà bravé tant d’interdits …
-Alors fais-le !
-Hélas, j’ai aussi mes limites quoi qu’on puisse en penser.
-Dis-moi comment le soigner !
-C’est impossible, je connais son problème, mais pas la cause exacte.
-Comment est-ce possible ?
-C’est en allant se faire examiner chez un spécialiste qu’il est …elle se tût soudain, consciente d’en avoir trop dit.
-Qu’il est …quoi ?
-Rien.
-Que lui est-il arrivé, insista Georg lui saisissant vivement le bras.
-Aïe, tu me fais mal, s’écria Midona les larmes aux yeux.
-Je suis désolé, je ne voulais pas…
-Je sais, je ne t’en veux pas, tu t’inquiètes pour ton ami, comment te le reprocher. Je vais devoir te quitter, mais avant, je vais te faire une dernière révélation, la plus importante pour votre avenir à tous. Je te demande de bien m’écouter, de me faire confiance et de suivre aveuglément mes directives.
-Je te le promets !
-Ne me promets rien, contente-toi de le faire. David va vous convoquer bientôt, il vous proposera quelque chose d’exceptionnel, une chance unique de résoudre bien des choses. Vous devez décliner sa proposition, même s’il vous en coûte, même si cela semble fou, ne le faites pas, ne le suivez pas sur cette voie sans issue.
-Que dois-je refuser exactement ?
-Je ne peux pas te le dire exactement, je ne dois pas intervenir clairement dans la trame, je ne devrais même pas y intervenir par suggestions, mais tu comprendras sans peine mes paroles quand le moment sera venu. »

Elle lui sourit une dernière fois, posa doucement ses lèves sur sa joue, le gratifiant d’un tendre baiser, et recula jusqu’à être absorbée par le miroir, laissant derrière elle un doux parfum de fleur et des sentiments mêlés dans le cœur de Georg.

 

Chapitre 22

 

Heilig s’étonnait ce soir là de l’étrange attitude de sa maîtresse. Celle-ci parcourait en effet sa chambre de long en large depuis plusieurs minutes. Tantôt, elle enjambait les coussins étalés au sol, tantôt elle se laissait tomber quelques secondes sur la chaise finement taillée de sa coiffeuse avant de repartir sur ses précédents pas.

La propreté de la chambre avait d’ailleurs fait place à un indescriptible désordre qui lui avait valu les réprimandes acerbes de son père. Les journaux et autres magazines jonchaient le tapis dont la couleur vive était maintenant masquée par d’innombrables lettres noires.

D’ailleurs, Midona ne pouvait pas cacher non plus à sa confidente qu’elle était anxieuse depuis plusieurs jours. Cela se ressentait tant dans son sommeil, chaque jour plus agité, que dans ses habitudes quotidiennes. Elle ne passait plus de longues heures à caresser le poil luisant d’Heilig, elle ne prenait plus le temps de soigner l’endroit où elle vivait alors qu’elle avait un tempérament d’excellente ménagère.

Après avoir légèrement relevé son jupon blanc, elle s’assit à nouveau sur son bureau en enfouissant son visage dans ses mains. Les sanglots montèrent aussitôt, secouant sa taille fine et humidifiant ses longes boucles noires.
Elle se saisit de sa plume, ouvrit son tiroir secret, en sortit son journal intime, orné de cuir et de fins fils d’or.

Après avoir feuilleté le livre et relu les dernières pages, elle laissa une goutte limpide et salée tacher la page vierge sur laquelle elle s’apprêtait à écrire:

« TH für immer

-Rapport contact 4:

Chaque jour, la peur grandit. Je n’en dors plus. Toutes les nuits, je me réveille en sursaut, en pleurs. Mes draps sont trempés, mon visage dégouline de sueur. Les pensées m’obsèdent. Je suis consciente de tout le mal qui peut leur arriver, et pourtant, je ne peux rien faire de plus. Ils savent ce qui les attend, mais mon angoisse réside dans le fait que je ne sais pas s’ils pourront suivre mon conseil. J’ai pris tellement de risques pour eux qu’ils ont pris encore plus de place dans mon cœur.

Ce n’est pas raisonnable, certes, j’aurais dû minimiser les rencontres. Mais je devais gagner leur confiance pour pouvoir les convaincre de suivre mon conseil. S’ils venaient à ne pas m’écouter, je crois que rien ne pourrait me faire sortir de mon désespoir avant bien des mois.

Sinon, au niveau du groupe, tous ressentent les problèmes de Bill. Il souffre beaucoup, malgré tous les soins qui lui sont administrés. Il serait temps qu’il aille voir un médecin…
Tom le soutient vocalement, depuis plusieurs jours, et cela marche à merveille. Ils communiquent si discrètement qu’on pourrait croire à de la télépathie ! Quel bonheur de voir à quel point ils comptent l’un pour l’autre. Si maman m’avait donné une sœur à moi aussi…

Mais je m’égare ! Je suis tellement anxieuse, tu sais…
Le guitariste commençait tout juste à me supporter, et je commençais à vraiment l’apprécier ! Mais je vais te faire une confidence: celui avec lequel je me sentais le plus en confiance était Gustav ! Sa sérénité, sa joie de vivre, cette chaleur qu’il dégage est quelque chose de très agréable. Je n’ai d’ailleurs pas résisté à l’envie de lui donner ma bague. Espérons qu’elle leur portera chance !

Cette fois-ci, Georg a essayé de me soutirer des informations. Il a obtenu ce qu’il voulait sur les fameux soutiens vocaux des jumeaux. Il suspectait tout ce qui se cache du côté de la production: le fait que Bill doive arrêter de chanter s’il n’arrive plus à poursuivre le rythme imposé, ou si on découvre que son frère trame quelque chose avec lui !

Malheureusement, il a aussi réussi à dévier mon attention, et je lui ai révélé quelque chose qui l’a beaucoup intrigué. Il faut dire que je ne savais pas comment réagir ! Rien que dans ma voix, il a dû se rendre compte que j’étais mal à l’aise. Je me suis hâtée de le quitter sur le conseil que j’ai donné à chacun d’eux: refuser la proposition de rêve que va leur faire David dans quelques heures.

Je prie juste le ciel pour qu’ils m’écoutent.

Je sais que j’ai fait tout ce que j’ai pu pour changer les choses, mais le doute m’assaille tout de même, n’aurais-je pas dû en dire plus, rompre l’équilibre et risquer le tout pour le tout ? Après tout, qui sait vraiment quelles en seraient les conséquences, cela n’a jamais été réalisé, tout ce que je pense connaître n’est finalement que probabilités et supputations…même si j’y avais perdu la vie, quelle importance finalement puisque sans eux je n’ai qu’un semblant de vie…

-Prévisionnel:

Espérer, espérer, et toujours espérer…
Il est trop tard pour changer la situation, c’est eux qui sont maintenant maîtres du jeu. Mais s’ils suivent mon conseil, s’ils refusent la proposition de David, alors, je me promets de réaliser mon rêve: aller les voir en concert ! »

L’once d’espoir qui parcourait les mots écrits redonnait un peu le sourire à Midona. Il y avait peut-être une lueur d’espoir, enfin, après tant d’années…
Elle referma son journal, le glissa discrètement dans le tiroir secret, sous une pile de magazines.

Elle les surveillerait du coin de l’œil, ferait tout pour leur rappeler le moment venu ce qu’ils avaient presque tous promis…

 

Chapitre 23

 

C’est telle une tornade que David interrompit la répétition matinale du groupe, faisant voler textes et partitions à travers la pièce, sous le regard courroucé et à la fois interrogateur de Bill.

« Non, mais ça va ou quoi, ronchonna Bill.
-Oh oui ! On ne peut mieux, exulta David.
-Au point de mettre le bazar ?
-Quelle importance, j’ai une grande nouvelle, une chance unique et qui ne se reproduira probablement pas de si tôt ! »

Les quatre garçons intrigués font cercle autour de leur manager, avides d’en savoir plus. Gustav, envieux d’être informé plus vite que les trois autres se lève sur la pointe des pieds pour observer la paperasse par-dessus l’épaule de David. Malheureusement, ce dernier commence impatiemment son discours, rythmé de gestes enthousiastes.

« Le professeur Shanti, le célèbre spécialiste, a mis au point une nouvelle technique qui permet par une opération très peu invasive de réparer et fortifier les cordes vocales des chanteurs de façon définitive. Peu importe les sollicitations futures, plus de risques de kystes ou de perte de voix, c’est le summum en matière de microchirurgie. Ce professeur a réalisé cette délicate opération trois fois, elle est encore considérée comme expérimentale, bien que parfaitement au point. Il ne la pratique que dans certaines circonstances bien particulières : pour illustrer certaines conférences réservées à l’élite de la microchirurgie. L’une de ses conférences va avoir lieu à Houston après demain, nous avons usé de toute nos relations pour que ce soit toi Bill, qui serve de cobaye…enfin façon de parler … fini les problèmes de voix pour toujours ! »

C’est un torrent d’exclamations de joie qui accueille cette bonne nouvelle, tous sont soulagés de savoir que Bill va être guéri, lui le premier. Les yeux pleins d’étincelles, il s’apprête à enlacer son manager qui le repousse amicalement avant de poursuivre:

« Tout est organisé, vous vous préparez tous pour le vol de 20 heures ce soir direction Houston. L’opération aura lieu après demain 10 heures, Bill restera en clinique trois jours, pendant que vous ferez un peu de tourisme, cela vous changera les idées et évitera que vous ne tourniez en rond à vous inquiéter et à m’appeler toutes les cinq minutes pour prendre de ses nouvelles, expliqua David tout en lançant un léger regard en coin à Tom.
- Mais, je …
-Tu crois que je ne te vois pas venir, je te connais, tu vas tellement stresser pour Bill, que tu vas nous empoisonner la vie.
-Moi, mais …
-Je sais, tu n’aimes pas l’avion, mais c’est pour ton frère !
- C’est bon, c’est bon, soupira Tom. »

Bill lança un regard reconnaissant à son jumeau, qui de son côté se contenta de le gratifier d’un sourire crispé.

L’après-midi passa en moins de temps qu’il ne faut pour le dire, tant ils étaient occupés à préparer leurs valises, prévenir leurs familles, retrouver le passeport de Tom échoué, on ne sait pourquoi sous un monceau de casquettes, houspiller Bill qui, planté devant ses armoires, n’arrive pas à se décider sur le choix des vêtements à emporter. Ce joyeux tourbillon est interrompu par Saki, qui leur annonce que le van les attend et que dans quinze minutes, ils doivent partir pour ne pas manquer l’avion.

Arrivés à l’aéroport d’Hambourg, Saki les abandonne dans la salle d’attente VIP, tandis qu’il procède à l’enregistrement de leurs bagages. Les quatre jeunes devisent gaiement, sans réaliser le moins du monde que leur destin va être scellé dans moins d’une heure.

Non loin d’eux, un garçon d’une dizaine d’années et sa maman attendent l’embarquement. La mère est plongée dans un magazine, tandis que son fils, une bande dessinée sur les genoux, laisser errer son regard dans la salle d’attente, trop excité par l’idée du voyage pour lire tranquille. Soudain les yeux du garçonnet s’écarquillent démesurément tandis qu’ils se posent sur le miroir derrière le bar momentanément déserté. Il fonce ensuite les sourcils, plisse les paupières, puis se frotte les yeux pour essayer d’effacer une éventuelle hallucination. Finalement convaincu de ses visions, il se tourne vers sa mère.

« Maman, maman, il y a une dame qui pleure dans le miroir !
-N’importe quoi, lui fit cette dernière sans même lever les yeux de son magazine.
-Mais, maman …
-Je crois que je vais dire à ton père de t’acheter moins de bandes dessinées, tu as déjà bien trop d’imagination. »

Quatre paires d’yeux se tournent alors vers le miroir, où le visage de Midona se dessine clairement, l’éclat de ses iris d’émeraude rendu brillant par les larmes qui dévalent son visage. C’est avec une infinie tristesse qu’elle les regarde, elle sait, mais eux savent-ils ?

Le chanteur commence à emmêler ses doigts en regardant la clarté opalescente. Lèvres pincées, il semble hésiter. De temps à autre, il jette un œil aux autres qui manifestement, sont aussi sceptiques que lui. Il se tourne à nouveau vers Midona. Il a compris, mais pourtant, il ne peut pas croire que ce soit une opportunité pareille qui s’envole sous ses yeux.

Les autres, quant à eux, sont tous en train de se dévisager en se demandant si quelque part, ils ne pourraient pas se comprendre. Ils sentent bien que quelque chose cloche, mais l’hésitation les arrête: ils croient tous détenir la clé d’un mystère qui ne s’est offert qu’à leurs yeux.
Finalement, Bill rompt le silence, devenu pesant :

« Alors, c’est ça auquel je dois renoncer : à mon avenir !
-Tu la connais, fit Tom, abasourdi.
-Bien sûr, c’est Midona !
-Tu la connais d’où ?
-Elle me parle dans les miroirs, chuchota Bill, fort gêné par cet aveu.
-Et à toi aussi, elle a prédit des trucs ?
-Oui, enfin si on veut …
-Nous aussi on lui à parlé, avouèrent en cœur Georg et Gus.
-Elle nous a mis en garde, mais sur le moment on n’a pas compris… »

Ils se questionnèrent un peu du regard. Tous savaient ce qu’ils devaient faire mais aucun n’osait prendre la décision tant ils connaissaient l’irascibilité de leur manager.

« On devrait renoncer et renter au studio et peu importe ma voix, finit par lancer Bill.
-Tu sais que ta voix c’est ta vie, c’est important !
-Je sais, mais je crois, enfin je suis sûr que si Midona s’est montrée en public, c’est que c’est grave, très grave : on rentre. »

Georg et Gustav se dévisagent en approuvant: même si elle paraît folle, cette décision est la plus sage !
Tom se lève et rejoint Saki pour lui faire part de leur décision commune. Ce dernier ne comprend rien aux explications fort confuses de Tom et refuse carrément de les ramener au studio, du moins pas sans que David ait donné son feu vert. Celui-ci refuse tout de go et enjoint Saki de faire patienter les garçons, il est hors de question de fiche en l’air tout ce qu’il a eu tant de mal à organiser.

C’est un David furibond qui déboule dix minutes plus tard dans la salle d’attente.

« C’est quoi ce bordel, on fait des caprices, maintenant !
-Non, mais…
-Pas de mais Bill ! Tu sais ce que cela m’a coûté de t’organiser ce rendez-vous ?
-Euh non !
-Déjà un, beaucoup de temps et surtout 280 000 dollars !
-C’est …cher !
-Tu crois quoi, que l’un des plus grands professeurs au monde opère gratuitement ?
-Non, mais là c’est…indécent !
-L’indécence, ce n’est pas tant le prix de l’opération, que ton refus de la faire.
-Ce n’est pas ça, je ne veux pas aller à Houston, j’ai un mauvais pressentiment !
-C’est nouveau ça, je pensais que c’était Tom qui avait peur en avion !
-Je n‘ai pas peur, je sais juste que je ne dois pas monter dans cet appareil.
-Tu as peur !
-Je sais juste que le moment est mal choisi !
-Tu ne risques absolument rien !
-Si perdre ma voix pour toujours, ce n’est rien…………»

David lève les yeux au ciel, face à un Bill, bras croisés, bien décidé à ne pas céder.

« Et vous alors, dites quelque chose, houspilla-t-il à l’intention des trois autres.
-Nous on reste ici, répondirent-ils d’une même voix.
-Je vois, vous n’en démordrez pas !
-Non !
-Saki, allez récupérer les bagages, ensuite on rentre, soupira David»

Les garçons échangent un regard en arrière qui passe presque inaperçu, mais qui leur permet d’apaiser leurs craintes: Midona a quitté le miroir…
Saki parti, ils restent tous les cinq dans la salle d’attente vide, les autres passagers ont déjà embarqué, l’avion ne va pas tarder à décoller. Personne n’ose rompre un silence devenu pesant. David est furieux, les garçons dubitatifs, ils pensent avoir bien agi et voudraient en débattre, mais pas question de parler des apparitions devant David. C’est donc à coups de regards discrètement échangés qu’ils se réconfortent les uns les autres, car ce n’est pas facile de subir leur manager en rogne.

Un coup de tonnerre monstrueux retentit, faisant trembler les vitres blindées de l’aéroport qui finissent par se briser et voler en éclat sur le carrelage lisse. Un tumulte se fait entendre du côté du personnel, inquiété par cette manifestation anormale, jamais le vitrage ne réagirait ainsi durant un simple orage. Les plus curieux et courageux s’approchent, impatients de voir ce qui se passe au dehors, pendant que les plus peureux masquent leurs oreilles de leurs mains pour ne pas avoir à découvrir les dégâts autour d‘eux. Sous leurs yeux épouvantés, une boule de feu envahit l’horizon, éclairant l’aéroport comme en plein jour…

La voix d’une hôtesse, rendue tremblante par la terrible annonce qu’elle s’apprête à faire, retentit faiblement dans l’agitation de l’aéroport, causée par la catastrophe :

« Mesdame, messieurs, le vol Hambourg-Houston vient d’exploser en plein vol, les causes en sont encore inconnues… »

Quelques mètres plus loin, au-delà d’un miroir, une jeune femme sourit en regardant ses idoles, qui viennent de comprendre la raison de ces étranges visites: ils n‘auraient jamais survécu à un accident pareil sans ces prédictions mystérieuses, et pourtant bienveillantes.

 

Chapitre 24

 

Elle savait qu’elle n’aurait pas dû, que le secret du système devait à tout prix être préservé de la convoitise de certaines personnes. Mais elle céda à son envie : une occasion unique de les voir. Une ultime chance de se dire que tout ce qu’elle avait fait n’avait pas été vain. Que grâce à elle, il restait une part de lumière dans l’ombre de son anonymat.

C’était la dernière information qu’elle possédait sur eux : le nom de l’hôtel lors de leur passage dans la région. Maintenant le temps l’avait rattrapée…

Devant leur renommée mondiale, attirant des foules de groupies hystériques qui ne semblaient pas s’atténuer au fil des années, le staff avait de plus en plus de peine à juguler pareille excitation. Ils prirent alors de multiples précautions afin de garantir au groupe un minimum de calme, dont celle de dénicher de confortables hôtels situés dans des coins perdus, où les fans ne penseraient jamais à les traquer.

Midona, confortablement lovée dans un grand fauteuil du salon-bar de l’hôtel, sirotait tranquillement un café, profitant pleinement du cadre idyllique et du calme de ce magnifique endroit. Si d’apparence, elle semblait sûrement très calme, son cœur battait à vouloir lui sortir de la poitrine. Derrière ses yeux émeraude qui semblaient attirer le regard du barman, elle songeait à tous ces moments qui lui avaient permis de devenir l’une de leurs plus proches fans.

Soudain un léger remue-ménage rompit la tranquillité des lieux : des rires joyeux, des pas pressés…

« Quelle folie!
-Ce concert, il restera gravé dans ma mémoire !
-Grandiose! »

Devisant gaiement, les membres du groupe s’approprièrent quatre fauteuils et commandèrent des bières accompagnées d’amuse-gueules. Gustav, qui ne suivait la conversation que d’une oreille, laissait errer son regard aux alentours. Quand ses yeux se posèrent sur la jeune fille, il eut comme une sensation de déjà vu, une impression de la connaître. Il plissa les paupières pour mieux distinguer sa robe à fleurs qui flottait dans l’air, dissimulant sous un long jupon ses pieds chaussés de fins escarpins, dont seule une pointe ornée de perles dépassait. Il n’arrivait pas à mettre un nom sur ce visage qui lui semblait pourtant encore plus séduisant que dans ses souvenirs. Elle lui accorda un regard furtif, avant de s’empresser de se plonger son nez dans son café.

«Dites les gars, vous avez vu la fille ?
-Mignonne, mais un peu jeune pour moi, fit Tom en la lorgnant sans vergogne.
-Décidemment, tu ne penses qu’à ça, enfin, quand tu penses, lança ironiquement Georg.
-C’est pas gentil !
-Mais, ô combien vrai !
-Ça vous ferait rien d’en revenir à ma question, les interrompit Gus.
-Oui, on l’a vue, pourquoi ?
-Elle ne vous rappelle pas quelqu’un ? »

Intrigués par la question de Gustav, qui en général n’était pas particulièrement passionné par la gente féminine, Bill, Tom et Georg observèrent plus attentivement Midona, cherchant dans ses traits fins une ressemblance, un souvenir. Tandis que Gustav jouait pensivement avec l’anneau d’argent ciselé pendu à sa chaînette, il lui sembla se rappeler, comme si ce contact avait éveillé sa mémoire défaillante :

«On dirait Midona ! Vous vous souvenez ?
-Mido… Oh, oui !
-C’était il y a bien des années, c’est pas possible, elle aurait changé…
-Admet que c’est troublant ! »

Midona, ayant eu tout loisir de les voir enfin en chair et en os, jugea préférable de ne pas s’attarder. Elle termina son café, puis se leva gracieusement de son fauteuil, remerciant la serviabilité du barman d’un petit clin d’œil. Elle fut confortée dans son élan en remarquant quatre paires d’yeux inquisiteurs la regardant fixement. Elle se leva et passant rapidement à côté d’eux murmura derrière un ravissant sourire :

« J’ai été ravie de vous revoir ! »

Ils n’eurent pas vraiment le temps de réagir, mais elle sentit tout de même une légère pression au niveau de sa main.

Bientôt, il ne resta de sa présence qu’un parfum de mystère !

 

Epilogue

Midona observait la bague en argent ciselé, héritée de sa mère. Le seul souvenir qu’il lui restait d’elle…
Mais elle n’aurait pu avoir meilleur souvenir. Finement taillée dans le métal, elle reflétait parfaitement la délicatesse de sa mère. La discrétion elle-même ressortait dans le bijou qui passait souvent inaperçu aux yeux des gens qu’elle fréquentait.
Oui, elle était discrète, sa maman, mais sa présence l’accompagnait toujours. Midona en était persuadée.

Les sept années passées sur la chaîne de Gustav l’avaient légèrement usée, aussi quand elle la passa à son doigt, elle n’était plus aussi ajustée que le mois dernier.

Le bijou mettait la touche finale à sa tenue soigneusement choisie pour ce soir. Elle contempla son reflet dans le miroir, ajustant son bustier, puis défroissant son jupon à fleurs. Les yeux perçants d’Heilig dévisageaient sa maîtresse, tandis que les effluves de son parfum chatouillaient ses moustaches. Ronronnant calmement, elle reposa sa tête sur l’oreiller richement décoré de fils d’or sur fond pourpre. L’excitation était palpable…

Pour la première fois, elle allait les voir en concert! Depuis ces sept dernières années, elle se contentait de la seule chose qui restait d’eux : des enregistrements. Enfin, elle allait réaliser son rêve, celui pour lequel elle avait tout risqué.

Une fan anonyme, parmi des milliers, mais dans son cœur, elle savait que sans elle, rien de tout cela n’aurait été possible …

 

FIN

 

 

 

Au gré de nos inspirations d'autres chapitres apparaîtront..........

 

 

Remerciements

A Istslas pour avoir participé à cette aventure !

A mon ami Paul, pour avoir eu la gentillesse de corriger mes écrits !

A mon mari Mike, pour avoir supporté mon indisponibilité et mes sautes d'humeur !

Au groupe Tokio Hotel, pour leur musique et leurs chansons, qui m'ont redonné l'envie d'écrire !

 

 

    J 'aurai plaisir à lire vos commentaires!