Chapitre 6:
Pour remettre d’aplomb le groupe, le management a décidé de ne pas trop les pousser, le temps que la voix de Bill se rétablisse. Il faut dire que le traitement médical est parfois lourd car il entraîne chez le chanteur de nombreux effets secondaires qui l’asservissent à une fatigue permanente. Et puis, la rééducation progressive l’oblige à reposer ses cordes vocales qui doivent prendre le temps de se rétablir complètement.
Ce matin, les membres du groupe se sont donc réveillés avec chacun de nombreux projets qui s’éloignent du monde dans lequel ils baignent depuis tout petits: celui de la musique. Gustav, accoudé à la vitre du van, observe le paysage qui défile sous ses yeux. Chaque détail, chaque anomalie de la nature suscite chez lui un émerveillement. D’un rocher à l’allure de champignon en passant par un lac aux reflets dorés, tout le fascine…
A côté, roupillant comme un loir, Georg ronfle, la bouche ouverte… Il rêve peut-être qu’il rencontre de grands philosophes comme Platon, Socrate, Freud, Descartes, Montaigne, Blaise… Et peut-être que ceux-ci ont aussi les réponses à toutes les questions existentielles qu’il se pose en temps normal: « Pourquoi suis-je en vie ? », « Quel est mon but sur cette Terre ? ». A tous les cas, ils semblent lui répondre que la vie n’a pour but qu’un ultime passage commun: la mort. Mais il n’arrive pas à creuser plus loin. Se dire qu’il est le bassiste d’un groupe phénomène ne lui sert pas à grand-chose pour élucider le mystère de l’existence de Dieu… qui est une question et doit le rester !
En face de lui, en train de se marrer, comme une vache, du filet de salive qui coule des lèvres de Georg, on peut retrouver Tom ! Lui, ses questions existentielles sont bien différentes… Mais les détailler ne nous apporterait pas grand-chose. Si seulement il s’intéressait à la philosophie, à la religion… Venant de lui, ce serait un miracle. D’ailleurs, arriver à lui ancrer dans le crâne la signification du mot « sagesse » semble déjà être au-dessus des moyens de tout être humain normalement constitué. C’est un joyeux luron qui n’aime pas se poser trop de questions. Il vit un peu l’instant présent, sans vraiment se soucier des mauvais tours que lui réserve l’avenir.
En revanche, s’il y en a bien un qui s’en fait pour son avenir, c’est Bill. Mais attention, pas n’importe quel avenir: son futur proche. Est-ce qu’il aura le temps de se faire une nouvelle manucure ? Est-ce qu’il trouvera de nouvelles fringues à son goût dans le magasin qu’il s’apprête à dévaliser ? Est-ce que demain, il vendra toujours autant de singles? Ne venez pas lui parler d’un âge trop avancé, mais surtout, n’envisagez en aucun cas la vieillesse… Ces jours où il sera un vieux grabataire sénile, tenant debout grâce à sa canne, voyant mal devant lui à cause de ses yeux embués par la cataracte…
Le van s’arrête, et le chanteur est le premier à bondir hors du véhicule pour respirer l’air libre, même si son homologue le suit de près. Puis, les deux derniers musiciens descendent à leur tour. Gustav soutient l’épaule de Georg, qui a du mal à sortir de son sommeil. Ils se sourient tous, puis regardent les alentours.
« Là, il y a un magasin de vêtements, lance Bill, d’un ton enthousiaste. -Ah non, pas encore des fringues! -Oh, il y a une bibliothèque à cent mètres ! -Mais je veux des nouvelles chaussures moi ! -Tom, on a toute la journée, tu les auras tes chaussures ! -Personnellement, je ferais bien un tour du côté du parc animalier, il paraît qu’ils… »
Gustav est coupé dans sa lancée par les regards énervés des autres membres du groupe, qui n’en ont que faire de ses visites culturelles et trop instructives. Ils sont là pour se détendre, pas pour se plonger dans des visites très ennuyeuses. Ils jettent tous un œil dans une direction différente. Bill a repéré depuis longtemps son magasin préféré: TAZUMA. Tom s’apprête déjà à faire du lèche vitrine chez les petits cordonniers du coin, tandis que Georg prête plus d’attention à la librairie qui vient d’ouvrir ses portes de l’autre côté de la rue.
« Bon, les gars, on fait quoi ? demande le batteur. -Je propose qu’on se sépare. On a pas vraiment les mêmes centres d’intérêt… -Georg, tu viens avec moi ? -Moi je prends Bill! Hein Bill, tu viens avec moi faire les magasins de chaussures ? -Oui! Je vais m’acheter des nouvelles santiags parce que les miennes commencent à rendre l’âme ! -Gustav, tu… -Oui, je suppose que je viens avec toi… »
Tous se quittent sur un signe de tête qui marque leur accord. Les jumeaux partent d’un côté, tandis que les deux aînés traversent la route.
Comme d’habitude quand les jumeaux se retrouvent seuls, la conversation bat son plein. Ils rient, de tout et de rien, se racontent leurs nouvelles, partagent leurs petits potins, leurs anecdotes… Et pourtant, l’un comme l’autre semblent perturbés par un événement qui ne laisse pas leur regard indifférent. Ils errent le long des vitrines. Les magasins de lingerie, de bijoux, de maquillage défilent sous leurs yeux. Ils ne manquent pas de croiser des miroirs.
Et comme s’ils éprouvaient une certaine gêne à l’approche de ces objets pourtant des plus communs, ils baissent à chaque fois la tête. D’habitude, ils auraient davantage eu tendance à se regarder des heures durant pour déceler leurs imperfections, mais là, un malaise les en empêchait.
Bill retenait même sa respiration devant chaque miroir. Sa poitrine se gonflait, comme s’il voulait parler, puis il expirait sans ajouter un seul son. Devait-il en toucher un mot, ou non ? Et si on le prenait pour un cinglé ? Tom, à côté, ne prêtait pas grande attention à l’attitude étrange de son homologue. Il faut dire que sa crainte s’accentuait aussi à chaque fois qu’il apercevait trop nettement son reflet…
Gustav et Georg, bien que bien plus discrets, appréhendaient de voir défiler sous leurs yeux des objets qui ressemblaient trop aux miroirs qui leur avaient donné des visions fantomatiques… Si seulement ils étaient sûrs d’avoir réellement vu ce visage… N’était-il pas au fond le fruit de leur pure imagination ? Dans des cas comme les leurs, où l’alcool avait coulé à flot, certains pouvaient bien se remettre en question !
Pour eux, la dissimulation a été hissée au niveau de l’art et leur vie en est imprégnée. Toujours en représentation ou presque, que ce soit pour les fans, les journalistes, durant les concerts, les séances d’autographes...Même en vacances, pas moyen d’échapper à ces maudits paparazzis. Le moindre mouvement, la plus petite erreur sont sujets à polémiques. La dissimulation est donc devenue un art de vivre, même si au fond d’eux, ils en sont dégoûtés, être soi-même c’est le bonheur, mais quand chaque geste est susceptible de finir dans la presse à scandales, autant éviter.
Chacun d’eux donne une image de lui-même proche de la réalité, mais légèrement faussée, une sorte de jeu de rôles facile à suivre, mais avec certaines règles immuables afin d’éviter de stupides polémiques journalistiques. Qui a besoin de savoir que Bill est un angoissé qui souhaite toujours tout contrôler, que Tom est timide quand il s’agit de parler vraiment de sentiments, que Georg cherche toujours à comprendre et à aider tout le monde et que Gustav a une intelligence supérieure à la moyenne ?
Suivant machinalement ces règles de conduite, ils gardent leur vie privée bien à l’abri, même entre eux, pour souvent quoi, et ces étranges apparitions en font partie…un secret de plus, mais quel secret !!!
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De nos rêves naissent et meurent des mondes fantastiques. La vie, l'amour, la mort se côtoient dans un semblant de réalité, Dont seule notre imagination en fixe les limites. Vivre pour rêver, rêver pour vivre.....Fanfic - Website - Forum - Myspace - Facebook - Instagram - Twitter - Teaming
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